Le retour des hirondelles Jeudi 16 Mars 20h30
Si le cinéma est l’art du temps, alors le travail du cinéaste ressemble à celui du fermier. Le fermier confie ses cultures à la terre et au temps. Le cinéaste leur confie ses films. Les mots sur le papier sont comme des graines qu’il faut faire moissonner. Grâce à eux, nos lointains souvenirs prennent vie,
et se transforment en plans de cinéma.
Li Ruijun
Synopsis et détails
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C’est l’histoire d’un mariage arrangé, entre deux êtres méprisés par leurs familles. Entre eux, la timidité fait place à l’affection. Autour d’eux, la vie rurale se désagrège…
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Leurs familles les marient comme pour s’en débarrasser. Et Ma et Cao, contre toute attente, forment un vrai couple. Dur au travail et aux petits soins l’un pour l’autre. Voilà un grand film simple et bouleversant.
Bande Annonce
Critiques

Un repas de famille. Un homme et une femme sont mariés de force. Il est le dernier de la fratrie de paysans et il reste donc peu d’argent pour la dot, à peine un lopin pour son installation ; elle est handicapée et incontinente et personne n’en veut. Dans la tradition chinoise, c’est inespéré de pouvoir unir ces deux-là, comme on attache ensemble une paire d’ânes mal assortis, dont personne n’ose espérer qu’ils sauront tirer une charrette. Une bonne affaire, en quelque sorte. Tout le monde se frotte les mains et bon débarras. Ma est silencieux, résigné ; il la couvre quand elle a froid, cache les taches qui auréolent son pantalon, lui rend sa dignité avec des riens. Alors elle fait tout pour l’aider, de sa seule main valide, de sa démarche parfois hésitante.
Le Retour des hirondelles de Li Ruijun. Copyright Qizi Films Limited.
Dans le lent et long labeur qui consiste à se construire une maison et une vie à soi, Ma et Cao, patiemment, se complètent et s’épaulent. Peu à peu, ce qui naît entre eux, au-delà de deux solitudes qui se trouvent, c’est un sentiment merveilleux et si simple, tissé de bonté, de tendresse et d’amour. Au début, les cadres dans les cadres disent à quel point tout cela est hiérarchisé et étiqueté. Et puis, des plans somptueux de nature aride, dominés par les verts et les ocres, ouvrent le champ des possibles.
Ces pauvres gens, pliés, courbés, mais ensemble, sont regardés dans la beauté et la grandeur qui est la leur. Ce que dit ce film, c’est aussi à quel point la politique chinoise prônant la fin de la pauvreté est loin d’être arrivée à son but. Et que les traditions séculaires mettent certains êtres humains plus bas que terre. Sans asséner de grands discours, le film dit toute l’injustice et la rudesse en suivant pas à pas ce couple si lié qu’il en devient bouleversant. La force des faibles est ici exaltée par une succession de tableaux du quotidien. Le rythme des saisons s’enchaîne doucement, et on suit comme dans un thriller ces jours et ces nuits de deux laissés-pour-compte.

Après un beau succès en salles, ce film a disparu de tous les écrans chinois, cinémas et plateformes mêlés, le 26 septembre dernier. Motif non officiel : une vision trop réaliste, autrement dit sincère, de la vie actuelle dans les campagnes en République populaire de Chine, alors que le parti communiste de Xi Jinping se vante d’avoir éradiqué la pauvreté rurale. Après avoir vu Le Retour des hirondelles, on comprend mieux la radicalité de cette censure : non seulement le réalisateur Li Ruijun ne cache rien des conditions misérables dans lesquelles vivent encore de nombreux agriculteurs dans sa province natale du Gansu, mais il montre que ces damnés de la terre préfèrent encore vivre en liberté dans leur pauvre cabane au toit de chaume plutôt que de déménager dans les immeubles sans âme construits à leur intention (et au prix d’une corruption à peine voilée) par les autorités locales.
Il serait toutefois dommage de réduire le film à sa seule dimension de constat social sans concession. Car Le Retour des hirondelles est, aussi, une singulière et émouvante histoire d’amour aux images somptueuses. Ma Youtie (l’étonnant Wu Renlin, vrai fermier dans la vie et oncle du réalisateur) est un vieux garçon exploité par son frère aîné et par le propriétaire de ses terres. Cao Guiying (Hai-Qing, remarquable actrice professionnelle) est devenue handicapée à force de maltraitances. Entre les deux réprouvés, mariés de force par leurs familles, naît une solidarité, une complicité que Liu Ruijun chronique patiemment au rythme des saisons et du cycle des cultures dans une mise en scène aux cadres admirablement composés. À la désagrégation de la communauté paysanne répond la naissance d’un couple, et c’est souvent splendide.
DEMANDE À LA POUSSIÈRE
Le premier plan de Le Retour des hirondelles (Return to Dust pour son titre international) montre un âne à travers l’ouverture d’un mur – comme un clin d’œil au long métrage avec lequel on a pu découvrir le Chinois Li Ruijun, The Old Donkey, qui fut montré en France au Festival Deauville Asia il y a une dizaine d’années. C’était un drame rural âpre dont les protagonistes étaient régulièrement perdus dans des paysages géants – un traitement qu’on peut parfois retrouver lorsque le couple de Le Retour des hirondelles est filmé sur une immense dune, comme avalé par une mer de sable, comme une anomalie dans l’immensité du monde. Mais la caméra est en général plus proche dans ce nouveau film, attentive à ceux qui ailleurs ne reçoivent aucune attention.
Le Retour des hirondelles raconte un mariage arrangé alors que la dernière chance des époux semble déjà passée. Ce pourrait être une damnation, mais les chemins empruntés par Li peuvent surprendre. Le cinéaste dépeint d’abord une absence totale de considération pour la dignité humaine, avec cette héroïne traitée par des proches comme un poids dont on se débarrasse. Lorsque Guiying (remarquablement interprétée par Hai Qing, dans une sorte de stupeur ralentie) affirme que l’âne a eu une meilleure vie qu’elle, on a tendance à la croire. Ce pourrait être du poverty porn irrespirable mais Li met peu à peu en scène une forme de tendresse sans mièvrerie, une solidarité dans le couple qui s’exprime loin des autres – loin des règles de société ou du jugement familial. Il y a ici une beauté mais qui n’est pas une vitrine, cette beauté est à sa place car elle n’est pas une erreur de point de vue.
Mais Le Retour des hirondelles n’est pas un conte et s’il laisse entrevoir la possibilité d’une vie si ce n’est meilleure, au moins humaine, le réalisateur ne perd pas de vue la dureté du quotidien. Le film traite d’une urbanisation et d’une exploitation qui n’ont strictement rien à faire de l’individu. Il y a en fin de film un passage d’une cruauté ahurissante dont la brutalité s’exprime par la sécheresse du montage – on a peut-être rarement vu un moment aussi violent au cinéma ces dernières années. La violence est pourtant hors champ, mais elle envahit l’écran comme une pelleteuse qui emporte tout : maison, humains ou nid d’oiseau. Sur la longueur, le film manque parfois de variations et a un côté bloc. Mais c’est aussi la puissance de ce récit impitoyable, où le cinéaste semble davantage guidé par l’honnêteté que le mélodrame.

Au-delà de l’ode un peu trop poétique sur le passage des saisons, un film attendrissant sur une histoire d’amour qui ne se dit jamais, et le portrait réaliste de la transformation de la Chine actuelle.
En Chine, aujourd’hui, dans une région rurale pauvre. Deux familles sont en train d’arranger un mariage entre une jeune femme, déformée par une maladie inconnue (la polio ?), et un ouvrier agricole un peu fruste. Les deux vilains petits canards sont bientôt unis et se mettent au travail, retapant une ferme en terre brinquebalante, déménageant du jour en lendemain quand les autorités les y obligent.
Repoussés d’un peu partout, dédaignés, ils gardent courage. Surtout, une forme de tendresse naît peu à peu entre les deux époux, visible dans de tout petits détails, des gestes généreux, un sourire furtif, de minuscules attentions à l’autre, que Li Ruijun sait admirablement imaginer et saisir. L’image du film est somptueuse.
Une forme de bonheur tranquille ?
On les chasse encore sans égards. Pour lutter contre la grande misère, on donne des subventions à ceux qui détruisent leur taudis, et l’on reloge les paysans dans des immeubles modernes mais absurdes – le pouvoir chinois n’a apparemment pas du tout apprécié cette description, puisqu’il a interdit le film pendant plusieurs mois… Leurs familles les négligent, profitent d’eux sans vergogne. La vie est rude, les travaux et les jours pénibles se succèdent.
Ce couple étrange, dont on doute même qu’ils aient une sexualité, est entêté et courageux comme son âne, leur compagnon de labeur. Ils continuent à travailler la terre, à planter du blé patiemment, à le récolter avec des outils et des machines dignes du Moyen Âge. Lui a des principes, refuse toute aide, rembourse sans cesse ce qu’il a emprunté. Ils parviennent même à produire du blé, à gagner de l’argent, à changer de ferme, à atteindre une forme de bonheur tranquille. Mais le destin ne laisse jamais les gens longtemps heureux.
Alors évidemment, on pourra reprocher au film, présenté en compétition l’année dernière au festival de Berlin, d’être un mélodrame. Mais le mélodrame, c’est très beau. On pourra aussi ne pas apprécier qu’une actrice joue l’infirmité, mais l’admirable Hai Qing n’en fait jamais trop. On pourra même reprocher à Li Ruijun des phrases poétiques et bucoliques qui sont un peu désuètes, qui rappellent les faux proverbes chinois que nous inventions enfants dans les cours d’école, du genre “La pierre tombe sur l’œuf, l’œuf casse. L’œuf tombe sur la pierre, l’œuf se casse”.
Mais ce serait oublier tout le reste, la rigueur du filmage, la simplicité de la mise en scène, son expressivité, son ingéniosité, et la lumière incroyable qui illumine soudain, avec une infinité tendresse de la part du metteur en scène, le visage de ces deux amoureux sans grands mots pour dire l’amour : “Je t’emmènerai à l’hôpital pour voir si on ne peut pas te guérir.” C’est déchirant.

Le retour des hirondelles…et de la censure chinoise
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Grand film chinois censuré de Li Ruijun, Le Retour des hirondelles, autour d’un mariage arrangé et d’un pays qui se désagrège.
Voici un film chinois dont l’une des vertus repose sur les sévices qu’il subit. Il a été censuré, sa fin modifiée pour satisfaire à un happy end de pacotille. Il est quand même sorti en juillet 2022 et il a rapporté cinquante fois plus que son budget initial. Puis, en septembre, à la veille du XXe congrès du parti communiste, il a été retiré des salles et des plateformes. Il devait être le grand entretien de Transfuge. Or le cinéaste et ses proches, qui jouent dedans, sont menacés par les sbires du pouvoir. Ils ne peuvent ni sortir, ni s’exprimer. Mais de quoi s’agit-il ? D’abord d’un mélodrame rural, d’une fable réaliste, et d’une manière de filmer, donc d’un certain cadrage. Dès le premier plan, il est question d’un cadre, d’une ouverture dans un mur de ferme, d’un carré qui ressemble à celui des salles obscures, par où la lumière du projecteur se répand sur l’écran. L’histoire commence donc ainsi, par l’humble géométrie d’une mise en abyme – un cadre dans un cadre -, à partir de quoi les personnages peuvent apparaître dans un monde aride et dur. C’est qu’ici, cette province fortement désertique du centre nord de la Chine est universelle. Un homme et une femme mûrs, qui subissent les coups et les humiliations de leurs familles respectives depuis leur naissance, sont les objets d’un mariage arrangé, qui permettra de s’en débarrasser. Ils sont silencieux, c’est comme un film muet entre eux, dans les couleurs splendides des travaux et des jours. Grandiose école chinoise du plan large, du plan séquence, et des lumières à l’intérieur. Puis advient la parole à travers deux canaux : la culture de la terre d’une part, les soins prodigués par l’homme vers la femme meurtrie d’autre part, qui très vite, lui rend la pareille. La force du cinéaste, c’est qu’il n’y a rien de larmoyant ni de sentimental dans cette romance violentée de toute part. Tout y est crédible. En arrière-fond, il y a les sombres manœuvres du comité régional du parti, ses heureux et ses damnés. C’est le règne si particulier du bling bling rouge et confucéen, où Marxisme et Mercedes font la paire, sous le patronage d’une tradition non plus exterminée par une révolution culturelle, mais détournée, manipulée pour les besoins les plus grossiers. Il y a des affaires de transfusion sanguine, de dettes, d’expropriation des terres, de relogement dans des appartements modulaires où tout un pays devient une banlieue sérialisée à l’extrême… L’autre force du film, c’est de n’être jamais lourd dans les sens multiples que revêtent toutes ces scènes. La transfusion y est tout à la fois un vampirisme social et un acte altruiste. Les dettes ne sont pas celles des pauvres à l’égard des riches, mais l’inverse, celles de riches incapables de payer les récoltes. On aurait aimé entendre Li Ruijin nous présenter tout cela. Quiconque se rendait dans l’ex-empire du Milieu au début des années 2000 y ressentait le Zeitgeist de notre planète, l’esprit du temps, une autre façon de considérer les problèmes internationaux, une énergie sans limite marquant une jeunesse pleine d’espoir et de projets, et qu’on croisait dans d’énormes boîtes de nuit à Shanghaï et d’autres villes sorties du néant, ou bien au détour d’un karaoké dans quelques villages en crise. Désormais, c’est terminé. Le Zeitgiest n’est plus en Chine, malgré son étendue, ses matières premières, ses nouvelles routes de la soie. Le néo-maoïsme en cours ne parle qu’à quelques vieux dirigeants et leurs polices. Les hirondelles sont parties ailleurs.
Province du Gansu près de la ville de Gaotai. C’est l’hiver dans un petit village désolé de la Chine du nord. La neige tombe à gros flocons. Un âne attend patiemment son maître, Ma Youtie (Wu Renlin), dans une cour entre des maisons en torchis.
A l’intérieur d’une des maisonnées, deux familles discutent afin d’arranger un mariage entre Ma Youtie et Cao Guiying (Hai Qing), une jeune femme souffrant de deux handicaps : elle est infirme du bras gauche et souffre d’incontinence.
Enfant, elle a été régulièrement battue. Au terme de la négociation à laquelle ne participent pas les deux principaux protagonistes, Ma Youtie doit se marier avec Cao Guiying. C’est la décision des deux familles : une union arrangée, acceptée, de deux êtres qui ne se connaissent pas. Malgré les encouragements du photographe lors des portraits faisant suite à la cérémonie du mariage, les époux ne sourient pas. Leurs familles sont enfin débarrassées de ses deux fardeaux …
Une vie commune sans joie commence. Ma Youtie est un humble paysan vivant dans une maisonnée rudimentaire en pisé. Il cultive plusieurs champs avec l’aide de son âne, auquel il tient beaucoup et qu’il ménage de corvées selon lui, inutiles. Cao Guiying bien qu’handicapée l’aide de son mieux dans ses rudes tâches journalières.
Pour avoir quelque pécule, Ma Youtie donne régulièrement son sang au profit de l’administrateur de la coopérative. Son sang, d’une grande rareté, est surnommé « sang de panda ». Ces prélèvements l’épuisent au grand désespoir de Cao Guiying.
Au fil des jours, des saisons, Ma YouTie et Cao Guiying, s’accommodent, s’apprivoisent … Les temps sont difficiles mais Ma Youtie a un grand projet …
Le Retour des hirondelles est le sixième long métrage de Li Ruijun (39 ans), originaire de la ville de Gaotai. Tous ces films sont tournés dans la province de Gansu qu’il connait parfaitement. Le titre original du film est « Caché dans le pays des cendres et de la fumée » (Yin ru chen yan) qui est plus approprié que le titre français, bien qu’il y ait des hirondelles dans l’histoire de ce couple.
En 2021, le Parti communiste chinois avait annoncé « la fin de la pauvreté absolue », affirmation que la dernière œuvre de Li Ruijin, également scénariste, remet en cause sobrement.
En février 2022, Le Retour des hirondelles a été projeté à la Berlinale en compétition officielle. Il été programmé en Chine (80.000 écrans !) en juillet de la même année après que les censeurs aient modifié la fin (au visionnage, elle détonne !). Le film a rencontré, lors de sa courte exploitation, un grand succès : coût, 2 millions de yuans (270.000 €) pour 100 millions (1,37 millions €) de recette en 62 jours.
Nonobstant ce succès, il a été définitivement retiré des écrans chinois. Le correspondant du journal Le Monde en Chine (Frédéric Lemaître) pouvait écrire en octobre 2022 : « Les spectateurs chinois ont donc droit à un « happy end » de pacotille, à la veille du congrès du parti.
Dans la Chine de Xi Jinping, nul n’a le droit d’être malheureux, sauf les cinéphiles bien sûr ». Tout régime autoritaire quel que soit son origine (brun, rouge) s’attaque en priorité à la culture sous toutes ses formes (écriture, peinture, musique, cinéma, etc.). Il tend naturellement à la normalisation des esprits vers la pensée uniforme. L’idéologie aveugle la réalité par nature complexe.
Le Retour des hirondelles a été tourné, en suivant les saisons, par le réalisateur, monteur, scénariste, et dit-il avec humour directeur artistique, avec l’aide d’une petite équipe (sa famille), dont oncle qui interprète le rôle principal (Ma Youtie). L’histoire des époux marginalisés, se déroule lentement au gré des péripéties du monde rural (travaux saisonniers), bien mis en image par le chef opérateur Wang Weihua dans un format numérique peu courant (1.55 :1) lequel accentue l’intensité des scènes intimes (intérieurs dépouillés).
Le film adopte un rythme lent mais sans que le spectateur ne ressente le moindre ennui malgré la durée de la projection (2 heures 33 minutes). Il y a un trop plein d’humanité dans ces deux personnages à l’existence cabossée, sans horizon, hormis celui de vivre ensemble et de se soutenir mutuellement.
Wu Renin (Ma Youtie) est un acteur occasionnel (oncle du réalisateur !), mais Hai Qing (Cao Guiying) est une actrice de télévision et de cinéma fort renommée en Chine. Elle compose un personnage à la fois effacé mais très présente à l’écran, toujours auprès de son mari. C’est un couple bouleversant par son dénuement, sa simplicité, l’amour/tendresse qui les unit au fil des obstacles à surmonter.
Le Retour des hirondelles est un grand film élégiaque. Cette œuvre chinoise a la même densité narrative (le quotidien du monde paysan) que le film italien d’Ermanno Olmi (1931/2018) L’Arbre aux sabots (1978) Palme d’Or au Festival de Cannes. Le cinéma, dans son meilleur, n’est pas qu’un divertissement : il permet d’appréhender sans juger, par l’émotion, des sociétés autres que la nôtre.
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Superbe expérience esthétique, morale et émotionnelle, Le Retour des Hirondelles nous raconte la vie heureuse d’un couple amoureux de misérables paysans chinois.
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Retour à la poussière, le titre international de ce Retour des Hirondelles primé dans de nombreux festivals internationaux, est incontestablement plus pertinent, puisque Li Ruijun y décrit l’effondrement de la culture rurale dans le nord de la Chine, en bordure de Mongolie, une région dont il est originaire et dont il ne cesse de filmer l’âme et la rude beauté. Un effondrement sous la corruption d’un système mafieux qui boit littéralement le sang de ses victimes, les plus pauvres, les plus démunis. Mais aussi sous les lames des bulldozers du gouvernement de Pékin, qui détruisent les pauvres habitations de terre séchée, sans plus se préoccuper de leurs habitants, toujours repoussés plus loin, que des nids que les hirondelles y ont construits…
Le Retour des Hirondelles est donc un film obstinément politique, que le gouvernement chinois n’a pas toléré et qu’il a censuré, malgré et à cause de son succès commercial. Mais c’est aussi un film qui, in fine, ne fait pas de la politique son véritable sujet, mais plutôt un film qui parle à hauteur d’homme, et qui choisit la voie du mélodrame, de l’histoire d’amour la plus pure possible, pour nous embarquer dans une chronique naturaliste et (faussement) contemplative de la vie paysanne, au fil des saisons qui passent.
Car le retour des Hirondelles nous raconte l’amour qui naît au fil du temps entre deux êtres déshérités : lui, Ma, « Fer », le cadet d’une famille qui a déjà deux fils bien plus brillants, « Or » et « Argent », frustre paysan dont tout le monde se moque, et elle, Cao, handicapée par des traitements brutaux subis de la part de sa famille à elle quand elle était enfant. On les force tous deux à se marier pour se débarrasser d’eux, et, contre toute attente, l’amour, à la fois minuscule comme ces attentions de tous les instants qu’ils se portent l’un à l’autre, et immense comme la puissance de la nature qu’ils essaient de maîtriser pour faire pousser leurs pauvres récoltes, va illuminer leur vie.
Et en compagnie de ces deux êtres qui nous paraissent de plus en plus irradier une véritable humanité absente autour d’eux, nous allons passer deux heures littéralement enchantées : entre la beauté des images soigneusement composées mais jamais « esthétisantes », et une mise en scène d’une profonde intelligence dans l’attention qu’elle porte aux êtres, aux animaux aussi (un âne dur à la tâche est le troisième personnage-clé, à part entière, du récit), et aux gestes du quotidien, nous voilà comblés. Loin du misérabilisme qui pouvait menacer un sujet aussi extrême, nous baignons dans la bienveillance et la rigueur de l’incorruptible Ma, qui respecte à la lettre chacun de ses engagements, même le plus minime, et nous nous émouvons devant la fragilité physique de Cao (une éblouissante Hai-Qing). Nous nous émerveillons aussi devant chacune des tâches menées à bien par un Ma quasi herculéen lorsqu’il construit une nouvelle maison à la femme qu’il aime, après avoir dû fuir deux fois devant les bulldozers de la « modernité ». Et peut-être nous souvenons nous, pour ceux d’entre nous qui viennent du monde paysan, des gestes immémoriaux de nos grands-pères et grands-mères qui travaillaient la terre.
Le Retour des hirondelles, tout au moins jusqu’à une dernière demi-heure terrible qui nous brise le cœur – car, oui, c’est un mélodrame, aussi réaliste soit-il – s’apparente à un long moment de plaisir devant des scènes toutes plus belles, plus touchantes les unes que les autres, et les larmes qui coulent sur nos joues sont des larmes de bonheur.
Quelle grâce dans la disgrâce ! Quel émerveillement dans la réappropriation de soi par soi ! Quelle humanité dans cet univers rural que des potentats locaux tentent de désagréger au profit de … ! Oui le retour des hirondelles (le titre français est plus poétique que la simple traduction du titre anglais "retour à la poussière") ne peut que séduire. Le réalisateur ne verse jamais dans le misérabilisme (et pourtant, la rusticité d’un autre âge, la rudesse du labeur avec des moyens rudimentaires, s’y prêtaient) ni la violence (et pourtant elle est bien prégnante dans l’exploitation des faibles, dans leur vampirisation dont le « don du sang » serait la « métonymie », elle est tangible dans le comportement des propriétaires usuriers, dans les dépossessions successives auxquelles est soumis le couple !!)
Nous assistons au triomphe de l’humain -par-delà l’injustice liminaire et les tourmentes, avant que les dunes de sable n’enfouissent l’âpreté du réel dans leur tombeau. Un film irrigué par des forces contradictoires, et par une tendresse qui n’exclut pas l’indignation, car le réalisateur propose -pour ne pas dire "impose" - une vision très inquiète -pour ne pas dire "désespérée" du monde paysan (on comprend pourquoi le film a été « censuré », tant il va à l’encontre du discours politique qui prône la « fin de la pauvreté absolue », mais aussi parce qu’il démontre qu’un « damné » de la terre préfère le contact avec la nature, avec les animaux, au croupissement dans les "clapiers" modernes de la ville)
Voici un couple d’éclopés, de « parias ». Un mariage « arrangé ». Lui c’est Ma Youtie (Wu Renlin ) surnommé frère Quatre par les villageois moqueurs de la province de Gansu. "Vieux célibataire", il est contraint d’épouser Cao Guiying (Hai -Qing), une femme handicapée et incontinente, suite aux maltraitances infligées par sa famille! . Qu’à cela ne tienne ! le couple va se "construire" tout comme se "construit" leur maison, alors que démolitions et déconstructions sont programmées. La caméra les suit dans leur quotidien. Dans leur intimité -pudeur tendresse en lieu et place de contact charnel ; l’œil de l’objectif est devenu caresse, une caresse comparable à celle que prodigue le couple sur l’encolure de l’âne. En extérieur surtout, dans tous les travaux " agricoles" - retourner la terre, semer, récolter, etc. Rudesse du labeur dans des espaces arides sublimés grâce à la composition des plans (d’abord cadres dans les cadres puis élargissement en harmonie avec l'indéniable somptuosité de l'environnement) , le choix des couleurs (avec la dominante verte et ocre, ocre qui s’en vient contaminer la carnation des visages) et les effets de lumière (selon les moments de la journée ou les saisons).
Le réalisateur originaire de la région de Gansu (au sud de la Mongolie) aura assisté (et il nous aura entraîné dans son sillage) à une douloureuse destruction de la culture ancestrale, de cette osmose entre paysans et nature -incarnée par un couple de « parias » humble et aimant, déroutant de beauté fruste, un couple bouleversant, tout simplement !
Fiche technique
Le retour des hirondelles
Réalisation : RUIJUN Li
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Fiche technique
Réalisateur, scénariste.............Li Ruijun
Image ...............................................Wang Weihua
Décors............................................Han Dahai
Montage.........................................Li Ruijun
Direction artistique .................Li Ruijun
Prise de son et mixage..........Wang Changrui
Musique..........................................Peyman Yazdanian
Producteur délégué.................Xiang He
Produit par....................................Qin Hong
Producteurs.................................Zhang Min
.............................................................Li Yan
Durée2h14
Date de sortie08/02/2023
Limite d'âge; Tout public
Nationalité; Chine
Le retour des hirondelles
Réalisation : RUIJUN Li
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Fiche artistique
Wu Renlin.................................................Ma Youtie
Hai Qing.....................................................Cao Guiying

Le réalisateur

Li Ruijun
Né en 1983 dans le district Gaotai, au nord de la province du Gansu, Li Ruijun a commencé à s’intéresser à la peinture et à la musique dès l’âge de 14 ans. Très vite fasciné par les œuvres du néoréalisme et la Nouvelle Vague, il a eu la chance rare pour quelqu’un de sa région natale de faire des études dans le domaine artistique. En 2003, il est diplômé du ministère national chinois de la radio, du cinéma et de la télévision. Il travaille ensuite comme réalisateur pour des chaînes de télévision et des fournisseurs de programmes de télévision, avant de commencer à travailler sur ses premiers longs-métrages de cinéma.
À ce jour, il a réalisé six longs-métrages, tous axés sur les relations entre l’homme et la terre, ainsi que sur l’approche de la famille, de la vie et de la mort, dans une Chine rurale en constante évolution. La plupart de ses films se situent dans sa région natale du Gaotai et il y fait jouer ses amis et des membres de sa famille. Les films de Li Ruijun ont été sélectionnés dans de nombreux festivals internationaux, comme ceux de Venise, Cannes, Berlin ou Tokyo. Le cinéaste a notamment été invité à la Berlinale en 2015 avec «River Road», dans le cadre du programme Generation Kplus.
Filmographie:
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2022 YIN RU CHEN YAN (Return to Dust)
2017 LU GUO WEI LAI (Walking Past the Future)
2015 JIA ZAI SHUI CAO FENG MAO DE DI FANG (River Road)
2012 GAO SU TA MEN, WO CHENG BAI HE QU LE (Fly with the Crane)
2010 LAO LV TOU (The Old Donkey)
2007 XIA ZHI (The Summer Solstice)
Les interviews
Entretien avec Li Ruijun
Le drame de Li Ruijun « Return to Dust » était l'un des quatre films asiatiques projetés dans la compétition principale de la Berlinale, aux côtés de « The Novelist's Film » de Hong Sang-soo, « Nana » de Kamila Andini et de Rithy Panh. documentaire d'animation "Tout ira bien". Le natif de Gaotai tourne à nouveau son regard vers sa région rurale bien-aimée pour dépeindre la vie de deux personnes qui trouvent l'amour et l'espoir dans un mariage arrangé à travers leurs familles, comme deux parias que personne ne voulait plus avoir sur le dos. Le film les montre repartir de zéro plusieurs fois à cause des jeux impitoyables des propriétaires terriens officiels et des promoteurs avec les paysans, mais au lieu de baisser la tête, ils parviennent à trouver du réconfort les uns dans les autres.
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Il est assez intéressant de se plonger dans le monde de la Chine rurale qui nous est inconnue et qui est en même temps votre maison. Je voudrais vous poser des questions sur votre lien avec Gaotai et les gens qui habitent cette région.
Parce que je suis né sur cette terre et que j'y ai grandi, ma compréhension de la vie vient directement de cette terre. Cela ne nourrit pas seulement des vies, cela nourrit également mon monde spirituel. Mon grand-père et ma mère étaient agriculteurs de cette terre et depuis que je suis enfant, je travaille à la ferme. Je travaillais avec le sol. De cette façon, la terre a façonné ma compréhension du monde, elle a influencé ma façon de comprendre l'amour et la compassion. J'ai aussi une perspective différente sur la nourriture que nous mangeons, sur les gens qui nous entourent et sur la façon de gérer certains problèmes de la vie.
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Vous avez écrit une belle et touchante histoire d'amour impliquant deux exclus de la communauté. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur le sentiment d'aliénation que vous avez créé ?
À ma connaissance, il s'agit plutôt de l'évolution de notre monde et de notre société, car chaque pays et chaque société se développe et avance. Dans ce processus, souvent et surtout dans les zones rurales, il y a une tendance à l'urbanisation. Cela s'est intensifié à notre époque moderne d'information rapide, et lié à cela - l'envie de faire avancer les choses très rapidement. Cela ressemble à la deuxième évolution de l'humanité. Pour les villages, ce processus apporte de grands changements. Beaucoup de gens des communautés rurales veulent aller de l'avant et ils veulent prendre leur train express vers l'avenir. Mais d'autres personnes ne montent pas dans ce train ou l'ont raté, comme les personnages de mon film. Ils ont choisi d'avancer en faisant du vélo. Dans tout ce processus de nouvelle révolution, certaines personnes s'en tiennent aux anciennes habitudes de l'humanité, hérité de la tradition de l'ancienne culture paysanne. Les personnages principaux du film en sont le miroir et ils représentent le mode de vie traditionnel. Ils contrastent fortement avec le mode de vie moderne. En ce sens, je ne pense pas que le film parle d'eux en couple, il parle du temps qui passe et de la fin d'une époque. Nous devenons fondamentalement un autre type de société.
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Malgré l'aspect très sombre de l'histoire, les couleurs sont très douces, enveloppantes.
Dans "Return to Dust", j'ai choisi d'utiliser des cadres moyens fixes et de montrer beaucoup de paysages, et pas tellement de gros plans. Mes personnages sont abandonnés par les membres de leur famille mais ils sont acceptés et embrassés par la terre qu'ils cultivent, et ils sont aussi embrassés les uns par les autres. Ils ne construisent pas seulement une connexion les uns aux autres, ils se connectent à l'environnement et ils ne font qu'un avec le sol. Je voulais utiliser la lumière naturelle et les couleurs pour présenter leur vie, d'autant plus que le film parle du changement des saisons et du temps qui passe. Je crois que nous ne sommes tous que des passants. Je voulais mettre l'accent sur la terre pour présenter l'histoire, c'est pourquoi il y a beaucoup de paysages plus grands à l'écran. Il y a beaucoup de réflexion investie derrière mon travail de caméra parce que je trouvais important de présenter la vraie vie des agriculteurs et de lui donner un sentiment d'authenticité. Au niveau des couleurs du film, je trouve que malgré toutes les épreuves auxquelles sont confrontés les deux personnages, ils ont trouvé un amour profond qui anime tout. Leur passion pour la vie est devenue plus forte, donc je pense que la caméra à la fois en termes de couleurs et de visuels accentue cela.
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Je voulais aussi présenter l'histoire de manière plus objective, aussi à travers le cadrage du film qui ressemble à photographier la vie quotidienne. C'est moins un style cinématographique et plus un style visuel réaliste. C'est ce que je pensais dans le processus de fabrication.
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L'un de vos acteurs principaux est un amateur et un habitant de cette région qui a joué dans vos films précédents (Wu Renlin) et l'autre est l'une des actrices chinoises les plus appréciées Hai Qing. Comment était-ce de travailler avec deux acteurs aux expériences et aux métiers inégaux ?
Ils offrent tous les deux des performances époustouflantes et émotionnelles, et les performances émotionnelles sont très difficiles. Je ne dis pas que ce n'est pas plus facile pour les professionnels, c'est la nature des rôles auxquels je fais référence. Je connais Hai Qing depuis très longtemps. Quand j'écrivais le scénario, je pensais qu'elle serait le choix parfait pour le rôle, alors je lui ai donné le scénario pour qu'il le lise. Elle a adoré et elle a décidé de consacrer un an à ce film. Avec elle à bord, j'envisageais également de faire appel à un acteur professionnel pour le rôle de Ma, mais après de nombreuses repérages, je me suis rendu compte que personne n'avait une année complète à investir dans mon projet. De plus, beaucoup d'acteurs professionnels n'ont aucune expérience des travaux forcés, et ce rôle l'exige. Donc, cela n'aurait pas bien fonctionné non plus. Par exemple, même un téléspectateur moyen est capable de reconnaître si une personne qui coupe des légumes est un chef professionnel ou non. Certaines choses sont très importantes pour la caractérisation, alors j'ai décidé d'utiliser un acteur amateur et c'est quelqu'un avec qui j'ai travaillé auparavant. Wu Renlin vit actuellement dans le village et il est très familier avec le travail acharné. La seule chose qu'il avait besoin d'apprendre était de façonner le personnage. Le personnage que j'ai choisi pour lui était très différent de son rôle précédent. Cette fois, il devait jouer le rôle principal et je devais m'assurer qu'il serait capable de porter ce rôle sur ses épaules. Et complètement à l'opposé de cela, je devais faire oublier à Hai Qing les techniques de jeu qu'elle avait apprises à l'académie. Elle a dû revenir aux débuts du style de vie naturel. Donc, c'est devenu une purée vraiment intéressante. Certaines choses sont très importantes pour la caractérisation, alors j'ai décidé d'utiliser un acteur amateur et c'est quelqu'un avec qui j'ai travaillé auparavant. Wu Renlin vit actuellement dans le village et il est très familier avec le travail acharné. La seule chose qu'il avait besoin d'apprendre était de façonner le personnage. Le personnage que j'ai choisi pour lui était très différent de son rôle précédent. Cette fois, il devait jouer le rôle principal et je devais m'assurer qu'il serait capable de porter ce rôle sur ses épaules. Et complètement à l'opposé de cela, je devais faire oublier à Hai Qing les techniques de jeu qu'elle avait apprises à l'académie. Elle a dû revenir aux débuts du style de vie naturel. Donc, c'est devenu une purée vraiment intéressante. Certaines choses sont très importantes pour la caractérisation, alors j'ai décidé d'utiliser un acteur amateur et c'est quelqu'un avec qui j'ai travaillé auparavant. Wu Renlin vit actuellement dans le village et il est très familier avec le travail acharné. La seule chose qu'il avait besoin d'apprendre était de façonner le personnage. Le personnage que j'ai choisi pour lui était très différent de son rôle précédent. Cette fois, il devait jouer le rôle principal et je devais m'assurer qu'il serait capable de porter ce rôle sur ses épaules. Et complètement à l'opposé de cela, je devais faire oublier à Hai Qing les techniques de jeu qu'elle avait apprises à l'académie. Elle a dû revenir aux débuts du style de vie naturel. Donc, c'est devenu une purée vraiment intéressante. Wu Renlin vit actuellement dans le village et il est très familier avec le travail acharné. La seule chose qu'il avait besoin d'apprendre était de façonner le personnage. Le personnage que j'ai choisi pour lui était très différent de son rôle précédent. Cette fois, il devait jouer le rôle principal et je devais m'assurer qu'il serait capable de porter ce rôle sur ses épaules. Et complètement à l'opposé de cela, je devais faire oublier à Hai Qing les techniques de jeu qu'elle avait apprises à l'académie. Elle a dû revenir aux débuts du style de vie naturel. Donc, c'est devenu une purée vraiment intéressante. Wu Renlin vit actuellement dans le village et il est très familier avec le travail acharné. La seule chose qu'il avait besoin d'apprendre était de façonner le personnage. Le personnage que j'ai choisi pour lui était très différent de son rôle précédent. Cette fois, il devait jouer le rôle principal et je devais m'assurer qu'il serait capable de porter ce rôle sur ses épaules. Et complètement à l'opposé de cela, je devais faire oublier à Hai Qing les techniques de jeu qu'elle avait apprises à l'académie. Elle a dû revenir aux débuts du style de vie naturel. Donc, c'est devenu une purée vraiment intéressante. Et complètement à l'opposé de cela, je devais faire oublier à Hai Qing les techniques de jeu qu'elle avait apprises à l'académie. Elle a dû revenir aux débuts du style de vie naturel. Donc, c'est devenu une purée vraiment intéressante. Et complètement à l'opposé de cela, je devais faire oublier à Hai Qing les techniques de jeu qu'elle avait apprises à l'académie. Elle a dû revenir aux débuts du style de vie naturel. Donc, c'est devenu une purée vraiment intéressante.
N'oublions pas l'âne, s'il vous plait ! Il est le troisième personnage le plus important du film.
Oui, tu as raison. Cet âne est très important pour l'agriculteur, pas seulement comme outil de production, l'animal est aussi sa propriété importante. Dans les villages chinois, les ânes coûtent très cher et créent beaucoup de valeur. Ils sont également très importants pour le transport, et en général pour beaucoup de choses. L'attitude de Ma est un peu différente, car il voit son animal comme un grand soutien dans la vie. Il fait, pour ainsi dire, partie de sa famille. Je crois personnellement que les ânes ont de nombreuses qualités, telles que la persévérance, l'engagement, ils contribuent au travail, et c'est pourquoi l'un d'eux porte le troisième rôle le plus important dans le film.
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Vous n'êtes pas seulement scénariste et réalisateur, vous avez pris le poste de monteur et directeur artistique dans "Return to Dust". En plus de devoir faire face à la pandémie, à quel point a-t-il été difficile d'équilibrer tant de lourdes responsabilités ?
Nous avons passé près d'un an à tourner ce film, et le plus gros défi que nous ayons eu pendant la pandémie a été le financement. Beaucoup de studios et de sociétés cinématographiques, pas seulement en Chine mais aussi dans d'autres parties du monde, je crois, ont fait attention car les films qui étaient terminés ne pouvaient pas sortir à temps, ils avaient donc beaucoup de crash financiers. Personne ne savait combien de temps tout ce gâchis continuerait, et leurs coûts s'accumulaient. Donc, nos finances étaient très serrées car nous avions des difficultés de financement. De plus, de nombreux membres d'équipage ont dû annuler leur participation à cause de la pandémie, ce qui est la seule raison pour laquelle j'ai dû en faire autant moi-même. Mais comme j'avais aussi beaucoup de rôles dans mes films précédents, ce n'était pas quelque chose d'inconnu pour moi.
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Pour aller plus loin
« Guanzhou, une nouvelle ère » : le combat de paysans chinois pour conserver leurs lopins de terre
Pour son documentaire, Boris Svartzman a recueilli les témoignages stupéfiants de cultivateurs entrés en résistance contre les projets d’expropriation de l’Etat.
À NE PAS MANQUER
Boris Svartzman, l’auteur de ce remarquable documentaire, est un photographe, sociologue et sinophile français qui fréquente la Chine depuis une vingtaine d’années. Suffisamment pour avoir noué des liens de grande confiance avec les habitants de l’île fluviale de Guanzhou, à proximité de Canton, objets d’une expropriation sourde et néanmoins brutale par les autorités depuis 2008, qui veulent y mettre en œuvre un parc écologique à vocation touristique. Pour l’heure, on a pourvu au tourisme en construisant un hôtel de luxe. Quant à l’écologie, on attend d’en voir la couleur.
En tout état de cause, il s’ensuit de cette situation une guerre ouverte qui dure depuis une quinzaine d’années, qu’on présume perdue d’avance vu l’état des forces en présence, entre un Etat autocratique omnipotent qui détruit les ferments démocratiques de la société chinoise à travers son collectivisme rural et lesdits paysans qui – en vertu d’un mélange de dignité bafouée, d’attachement à leur univers traditionnel et de ruine économique – s’accrochent avec un courage et une opiniâtreté remarquables à leurs lopins de terre.
Sans doute, cette question de l’éradication brutale du monde et de l’habitat anciens par le néo-libéralisme étatique chinois n’est-elle pas nouvelle et nourrit-elle déjà ce qui se fait de plus passionnant dans le cinéma chinois lui-même, depuis l’œuvre fictionnelle de Jia Zhang-ke jusqu’à l’épopée documentaire de Wang Bing. Il n’empêche qu’à l’instar de l’excellent Sud Eau Nord Déplacer (2014), d’Antoine Boutet, des documentaristes étrangers, et plus particulièrement français, se confrontent, sans déshonneur, au sujet.
Barbarie bétonnée
Ce qu’on aime, à cet égard, dans le film de Boris Svartzman, tient à sa facture très ramassée (moins d’une heure trente), à son sens photographique de la composition, à sa présence amicale hors cadre (on le reconnaît, on l’interpelle, il répond), et surtout à sa percussion, tant la parole y est amèrement libérée. Le documentaire est ainsi fait qu’un bon sujet pris sur le vif, une relation de confiance conquise sur la durée et un sens du filmage font quasiment à tout coup remporter l’affaire.
C’est donc ce qui arrive ici, avec cette série de témoignages stupéfiants, recueillis le plus souvent en extérieur, semble-t-il au débotté, entre deux activités le plus souvent dérisoires d’entretien de cultures réduites à rien. Ce sentiment est plastiquement exacerbé par les plans généraux qui montrent l’étendue des barres de relogement dont l’ombre gigantesque menace les quatre coudées de terre des Astérix locaux.
L’Etat chinois cherche, selon les personnages de ce documentaire, « à effacer l’histoire et à briser les lignages familiaux »
Mais la potion magique se fait attendre devant l’avancée inexorable de la barbarie solipsiste et bétonnée. Voilà justement qui frappe le spectateur : l’acharnement exemplaire, pour ne pas dire désespéré, avec lequel ces hommes et ces femmes violentés, pressurés, privés d’eau et d’électricité parfois physiquement passés à tabac par des nervis, résistent, collectivement et administrativement à la violence de l’Etat. Expulsés, ils sont pour certains d’entre eux clandestinement revenus dans leur maison où ils se barricadent.
Enfin l’intelligence politique fine du processus qui les frappe n’est pas le moindre plaisir qu’on éprouve à découvrir ce film. A travers leur conscience aiguë du fait que l’Etat cherche, selon leurs dires, « à effacer l’histoire et à briser les lignages familiaux », les personnages de ce film confèrent à leur propre présence une émotion supplémentaire. Celle de sujets qui, tout en prévoyant l’échec à long terme du projet de démantèlement familial et collectif mis en œuvre par le gouvernement, se savent pour l’instant voués à une inexorable disparition et n’entendent pas s’y plier sans qu’au moins la trace de leur lutte ne soit dûment enregistrée au regard de la postérité et de l’histoire.

Paysans chinois entre cueillette et Internet
En à peine plus de trente ans, la Chine a réussi à éradiquer la famine alors qu’avec 20 % de la population mondiale, elle ne dispose que de 9 % des terres arables, concentrées dans la moitié est et en régression constante. Elle est le premier pays producteur de riz, de blé, de thé… Mais les paysans ne peuvent vivre de leur travail et sont obligés, quand ils n’émigrent pas en ville, de trouver d’autres activités. Le phénomène devrait s’accélérer avec les prochaines réformes.





