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About Kim Sohee Jeudi 11 Mai 20h30
Synopsis
Kim Sohee est une lycéenne au caractère bien trempé. Pour son stage de fin d’étude, elle intègre un centre d’appel de Korea Telecom. En quelques mois, son moral décline sous le poids de conditions de travail dégradantes et d’objectifs de plus en plus difficiles à tenir. Une suite d’événements suspects survenus au sein de l’entreprise éveille l’attention des autorités locales. En charge de l’enquête, l’inspectrice Yoo-jin est profondément ébranlée par ce qu’elle découvre. Seule, elle remet en cause le système.
Bande Annonce
Critiques


Sohee aime tant danser. Cette lycéenne coréenne au caractère bien trempé se verrait bien star de K-pop et, devant la glace, elle répète inlassablement une chorégraphie en se filmant avec son téléphone. Une pirouette compliquée la fait chuter ? Elle se relève et recommence, encore et encore. Sept fois à terre, huit fois debout, comme le dit un proverbe japonais. Mais il faut bien préparer l’avenir, et le professeur principal de son lycée technique est si fier de lui avoir dégotté un stage de formation dans un centre d’appels téléphoniques… Alors, Sohee pénètre dans ce local sans âme où une kyrielle de toutes jeunes femmes sous-payées, casque sur les oreilles, sont censées empêcher des clients de résilier leur abonnement Internet, mais passent surtout leur temps à encaisser les injures de leurs interlocuteurs. Sohee n’est pas assez « efficace », son manager parle de « déshonneur » devant les mauvais résultats du centre, et voilà qu’il se suicide, laissant une lettre aux accents de lanceur d’alerte… Le visage de la lycéenne se ferme, de plus en plus insondable, sous le joug des pressions et de l’humiliation. Quitter ce stage ou bien se déshumaniser pour devenir rentable et ne pas décevoir ses proches : le dilemme est intenable et personne — y compris la meilleure copine de Sohee, qui se fait régulièrement vomir après les vidéos gastronomiques qu’elle poste sur les réseaux sociaux — ne voit arriver le drame…
Inspiré d’un fait réel qui a bouleversé la Corée, ce second long métrage de July Jung après A Girl At my Door est un véritable coup de maître, et un coup de poing d’autant plus spécial que la jeune réalisatrice opte pour une mise en scène à l’élégance cotonneuse. Elle radiographie ainsi tout un système, qui tue littéralement la jeunesse sous prétexte de performance. Techniques de persuasion, objectifs intenables, concurrence toxique et accords de confidentialité imposés par le siège de l’entreprise : la première partie du film est glaçante de précision et de tension psychologique. On suffoque comme cette gamine qui pourrait être notre fille ou notre sœur, dans cette entreprise dont le nom — Human & Net — ressemble à un ignoble gag et dont la mâchoire se referme sur sa proie, avec la complicité du monde scolaire, lui-même soumis à des objectifs et des classements.
La force du film réside aussi dans sa manière de se déplier, après le drame, en une deuxième partie : une enquête où la première héroïne laisse la place à une autre, Oh Yoo-jin, inspectrice de police butée qui, au sens propre, va marcher dans les pas de la jeune Sohee. Elles s’étaient croisées, quelques minutes, sans le savoir, au début de l’histoire. L’adolescente n’est plus là, mais reste cette adulte qui cherche obstinément un pourquoi à la tragédie et refuse que Sohee s’efface des mémoires. La solitude, cette flic a l’air de bien connaître également, et elle non plus ne manque pas de caractère, interpellant (et même giflant !) ces hommes qui participent à l’horreur du système. Vertige : dans une autre réalité, la jeune Sohee aurait pu vieillir sous les traits d’Oh Yoo-jin… Avec ces deux personnages magnifiquement incarnés par Kim Si-eun et Doona Bae (vue récemment dans Les Bonnes Étoiles, du Japonais Kore-eda), la réalisatrice fond deux visages féminins en un seul, inoubliable : celui du combat contre l’ultralibéralisme assassin.
Pour About Kim Sohee, son deuxième long métrage – qui a été présenté en clôture de la Semaine de la Critique au dernier Festival de Cannes -, la réalisatrice July Jung s’est inspirée d’un fait divers macabre ayant fait grand bruit au pays du Matin calme. Lors d’un entretien avec Charles Tesson, réalisé en janvier 2023, elle déclare : « [Il] s’est passé fin 2016 dans une petite ville de Corée du Sud, à Jeonju. Un drame lié à l’histoire d’une lycéenne qui suivait une formation professionnelle dans un centre d’appel pour une grande entreprise de téléphonie. Sa famille et les syndicats ont affirmé qu’il s’agissait d’un accident du travail. L’entreprise en question a fui devant ses responsabilités. L’indignation envers cette entreprise, dont les conditions de travail dégradantes ont été révélées, a été très violente, et des excuses ont été présentées, avec la promesse d’améliorer les conditions de travail. Suite à cela, la loi a été modifiée. L’affaire s’est terminée ainsi » (in Dossier de presse). Le drame dont il est question est un suicide.
Dans l’entretien qu’elle nous a accordé en mars 2023 à Paris, dans les locaux d’Arizona Distribution, July Jung nous a expliqué que, n’ayant eu connaissance de cette affaire que plusieurs années après qu’elle a eu lieu, elle n’a pas mené d’enquête sur le terrain, n’a pas interrogé elle-même de témoins. Elle s’est documentée à partir des « enquêtes » faites par « des journalistes, des militants », des témoignages apportés par des « stagiaires, par la famille endeuillée » ; à partir de retranscriptions et de vidéos de « réunions » consacrées à l’affaire, d’ « interviews des travailleurs du centre d’appel ». Ces éléments ont constitué une base pour créer des « personnages fictifs, une histoire fictive » (1).
Premier élément inventé que nous entendons relever : la danse. La lycéenne Kim So-hee l’aime et la pratique avec talent. On la voit au début du film s’entraîner dans une salle dédiée à cette activité. La danse est une manifestation de vie, une manière de supporter le quotidien, de garder espoir en l’avenir. Mais So-hee ne parvient pas à faire ses figures jusqu’au bout, elle chute. Elle les répète et chute encore et encore, comme si ses mouvements corporels représentaient symboliquement son parcours existentiel, comme si son drame était inscrit d’emblée en elle.
Une grande partie du récit est consacrée à décrire les conditions inhumaines dans lesquelles travaillent les stagiaires comme So-hee qui sont au service de la société Korean Telecom. La pression la plus directe est exercée par un jeune manageur. On sent que lui-même est soumis à des contraintes de la part de ses supérieurs. Il en vient à se suicider. July Jung nous a expliqué que, dans la réalité de référence, un manageur a bien mis fin à ses jours en laissant un message d’alerte sous forme de lettre, mais trois ans auparavant. La réalisatrice a concentré les événements pour les besoins de son drame filmique. So-hee réagit très mal à cet événement, à la volonté des dirigeants de l’entreprise d’étouffer l’affaire. Au comportement extrêmement froid de la manageuse qui remplace son défunt collègue. La stagiaire comprend les manipulations auxquelles se livrent ses supérieurs pour payer le moins possible les employés, pour garder un pouvoir sur eux, et ne les accepte pas.
So-hee entre dans une spirale infernale. La réalisatrice a commencé par montrer une jeune fille apparemment forte, une battante, mais pour souligner paradoxalement sa fragilité et l’effet absolument néfaste du travail qu’elle est contrainte de faire. So-hee s’automutile, frappe la manageuse, et, mise momentanément à pied, finit par se noyer volontairement dans un réservoir d’eau (2).
Après la mort de So-hee, une autre partie du film, assez distincte de la précédente, commence. Une inspectrice de police, Yoo-jin (l’actrice Bae Doo-na, qui a, entre autres, joué dans The Host de Bong Joon-ho), commence une enquête de routine. Cette apparition de la policière et le rôle qu’elle va jouer constituent un autre élément fictif, en fait le plus important d’About Kim Sohee. Yoo-jin se rend progressivement compte de la terrible réalité dans laquelle la lycéenne a été plongée, des méthodes illégales de l’entreprise qui a employé celle-ci. Elle continue donc son enquête, creuse ce qu’il y a à creuser.
La réalisatrice July Jung a mis en miroir les deux protagonistes, même si celles-ci ne sont pratiquement jamais coprésentes, même si elles manquent fondamentalement l’une à l’autre, si elles semblent se rater. L’inspectrice Yoo-jin est la force qui a peut-être manqué à So-hee. Elle est une conscience et une justicière symbolique. Habillée de noir, comme en deuil – il est d’ailleurs signifié qu’elle a perdu peu de temps auparavant un être cher, sa mère -, apparaissant sans qu’on s’en rende vraiment compte parmi des danseuses que côtoie So-hee, dans la première partie du film, elle est comme un fantôme aux intentions bienfaitrices, quelqu’un qui surgit dont on ne sait où pour tenter de réparer le mal qui a été fait. Elle a un rôle maternel, du point de vue affectif, et un rôle quasi paternel, pourrait-on dire, du point de vue du rapport à la Loi. Elle est identifiée à la stagiaire sacrifiée et elle s’identifie à elle. Pour les besoins de son enquête et pour comprendre ce qui s’est passé, parce qu’elle se sent proche de So-hee pour diverses raisons, elle refait une partie du chemin emprunté par celle-ci, reproduit plusieurs de ses gestes, de ses actions et réactions – chute lors d’une danse, coup de poing asséné à quelqu’un qui profère des insultes…
Un des intérêts du film vient de ce qu’il présente tous ceux qui ont été de près ou de loin concernés par la situation dans laquelle s’est retrouvée So-hee comme se déresponsabilisant en expliquant qu’ils n’ont fait qu’obéir à des injonctions venues d’en haut ou de l’extérieur, qu’ils n’ont fait qu’accomplir du mieux qu’ils ont pu la tâche qui leur a été confiée. Certains en viennent à incriminer la victime et à laisser entendre qu’ils n’ont rien vu ou pressenti et qu’ils ne pouvaient rien voir ou pressentir.
Un de ces intérêts vient également de ce qu’il montre que tous les acteurs de ladite situation étaient objectivement sous la pression de leur hiérarchie, obligés de rendre des comptes. Quand nous avons évoqué cette question avec July Jung, en lui demandant si elle ne considérait pas ces acteurs comme victimes autant que coupables – c’est particulièrement le cas des parents : ils ont perdu leur enfant, mais ne semblent avoir rien vu, n’ont pas été là où ils auraient dû, et ont poussé la lycéenne à travailler dur en se soumettant à des injonctions sociales -, elle nous a précisé qu’ils étaient bien « pris dans un engrenage, et étaient les rouages d’un système ».
Toute en sobriété, avec une utilisation subtile de la lumière et du hors-champ, July Jung fait un portrait réaliste de la société ultralibérale, des dérives civilisationnelles qui brisent rêves, libertés et existences individuelles. On pense au personnage, lui aussi fictif, de la jeune amie de So-hee. Une influenceuse dangereusement dépendante de son activité et soumise aux insultes de ses suiveurs. « C’est en quelque sorte un portrait condensé de la jeunesse coréenne », nous déclare July Jung à propos de cette adepte des réseaux sociaux.
Des situations comme celles décrites dans le film sont évidemment légion et parfois bien plus mortifères. Nous ne savons pas exactement ce qu’il en est pour la Corée, mais rappelons que, en France, une vague de 35 suicides a par exemple eu lieu dans la période 2008-2009 au sein de la société Orange – France Telecom, due à ce qui a été appelé un « management de la terreur ». D’anciens responsables ont été jugés et condamnés en première instance en 2019, puis en appel en 2022.
Le film de July Jung découle de sa volonté de comprendre comment l’ultralibéralisme en est arrivé à pénétrer la sphère de l’Éducation Nationale et à jouer avec la vie de très jeunes personnes, de lycéens : « Je ne comprenais pas pourquoi les jeunes filles étaient envoyées pour accomplir des tâches que même des adultes expérimentés ne peuvent pas supporter ». La réalisatrice nous a expliqué, par ailleurs, que le climat politique très agité régnant en Corée du Sud au moment où le fait divers a eu lieu et où elle a travaillé au projet d’About Kim Sohee a influencé son travail : à cette époque, la Présidente de la République Park Geu-hye a été destituée, jugée et condamnée, entre autres, pour abus de pouvoir et corruption.
À noter, pour conclure, qu’About Kim Sohee présente des similitudes – intéressantes – avec l’émouvant premier long métrage de July Jung, A Girl At My Door (2014). Dans un village de pêcheurs, une commissaire de police – incarnée également par l’actrice Bae Doo-na -, qui ne semble pas pouvoir avoir de point fixe, se bat contre des pratiques illégales, en l’occurrence l’utilisation de main-d’œuvre clandestine . Elle joue un rôle protecteur, et même salvateur, auprès d’une toute jeune fille victime de harcèlement et de violences physiques, et qui trouve une consolation dans la danse.

Second film de la coréenne July Jung après A girl at my door, About Kim Sohee a l’honneur de clôturer la belle Semaine de la Critique 2022. Mêlant le film d’enquête et le portrait croisé de deux personnages féminins, magnifiquement campés par Doona Bae et Kim Si-eun, ce long-métrage met en lumière le désastre d’un ultra-libéralisme triomphant qui détruit l’individu.
Inspiré à la cinéaste par un fait réel, About Kim Sohee suit l’histoire d’une lycéenne, passionnée de danse, qui se fait engager pour un stage dans un centre d’appel téléphonique, Human & Net. D’emblée, elle est jetée dans le grand bain avec des consignes explicites pour remplir sa mission : dissuader les clients qui souhaitent résilier leur abonnement. On lui présente les principales techniques de persuasion, ainsi que les objectifs de performance ostensiblement affichés dans la salle de travail – avec le classement des employées qui recense les taux de réussite de chacune et trône comme une épée de Damoclès.
Ce culte de la performance est au coeur du film, exposant continuellement cette notion de classement qui broie les individus quel que soit leur positionnement hiérarchique. Menacée dès le premier appel, armée de son casque téléphonique, elle remplit sa mission la mort dans l’âme, déjà écrasée par les menaces de mesures de restriction venant du siège de l’entreprise (s’ils n’atteignent pas les objectifs, des postes seront vraisemblablement supprimés). La force de la première partie de About Kim Sohee est de retranscrire de façon éloquente et oppressante les déviances du management au 21e siècle : pressions, culpabilisation, humiliation. Le monde du travail coréen, à l’image des sociétés occidentales, souffre d’une déshumanisation galopante qui pousse à entrer en concurrence avec ses propres collègues de travail et à cultiver la politique du silence. Diviser pour mieux régner, telle semble être le leitmotiv de la hiérarchie. Suite au suicide du manager, qui accompagne son geste d’une lettre d’alerte sur les conditions de travail de son personnel, une nouvelle cheffe d’équipe est recrutée dans l’urgence pour remettre tout le monde au travail – quitte à tenir un discours hors sol, truffé d’arguments fallacieux.
L’étau se resserre autour de Sohee qui, comme le spectateur, commence à suffoquer dans cet environnement toxique. Lors de la première heure, July Jung signe une radiographie alarmante d’une société en souffrance et d’une jeunesse sous pression. D’un côté, son employeur la somme d’améliorer ses résultats. De l’autre, son école l’incite à se faire violence – sans connaître les conditions réelles de travail de ses étudiants – afin de ne pas plomber la réputation de l’établissement dont les financements d’état dépendent des chiffres d’embauche de ses élèves. Enfin, la pression familiale se distille comme une injonction à réussir pour Sohee, issue d’une famille modeste, contrainte de taire sa souffrance auprès de ses parents afin de ne pas les décevoir.
Lorsque l’irréparable arrive, l’histoire bascule dans le film d’enquête par le prisme du second personnage, celui de Oh Yoo-jin, en charge des investigations. D’abord décidée à classer l’affaire rapidement, elle remarque progressivement que cette disparition n’est pas le fruit d’une fragilité psychologique mais bien du cadre professionnel. Longtemps le film tait la souffrance de ses protagonistes, y compris celle de cette inspectrice dont on devine qu’elle se remet d’un traumatisme personnel. Pourtant, à mesure qu’elle déniche des éléments incriminants qui expliqueraient le geste de Sohee, ce personnage va progressivement dévoiler ses meurtrissures et devenir le catalyseur de la révolte du spectateur jusqu’à une ultime scène somptueuse et bouleversante qui, à l’image de la dernière séquence de Plan 75 (présenté à Un Certain Regard), insuffle un vent libérateur bienvenu pour laisser jaillir une émotion authentique.
Magnifiquement porté par ses deux comédiennes, soigné dans son écriture et dans sa mise en scène sans esbrouffe mais toujours au service du récit et de ses personnages, About Kim Sohee s’affirme comme un excellent choix de clôture pour la Semaine de la Critique et confirme les promesses d’une cinéaste à suivre.

About Kim Sohee de July Jung présenté en clôture à la Semaine de la Critique 2022 est un film surprenant, il commence presque comme une « succes-story » puisque la lycéenne au caractère bien trempé décroche un stage dans une entreprise très désirée selon son professeur. Kim Sohee ira de déconvenue en déconvenue, son stage au centre d’appel de la Korea telecom est un enfer.
Ce qui se joue dans l’open space de la multinationale est une métaphore de la société coréenne, l’individu n’est là que pour atteindre des objectifs et pour améliorer un classement qui n’a pas de sens.
Le calvaire de Kim Sohee n’est pas loin de celui de Winston Smith dans 1984 de Geroge Orwell... Mais le film est aussi une enquête policière avec ses codes et son suspens, remarquablement menée par l’actrice Doona Bae vue chez Kore-eda et Bong Joon-ho.
About Kim Sohee est une œuvre difficilement classable, c’est ce qui en fait sa force et son charme, il faudra maintenant se souvenir de July Jung.
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July Jung nous propose une étude quasi documentaire sur l’aliénant fonctionnement du monde du travail. Une plongée glaçante dans les rouages d’un système qui cache, derrière des chiffres, le culte de la performance.
About Kim Sohee ressuscite la veine des films dossiers : c’est, au sens propre du terme, une étude quasi documentaire sur l’aliénant fonctionnement du monde du travail, et particulièrement sa découverte par les lycéens professionnels dans leur première expérience de stage. Tiré d’un fait divers survenu en 2016, le film suit dans un premier temps l’expérience d’une adolescente sur son lieu de stage, en liant ses différents milieux de vie (la danse, les amies, le système scolaire) pour mieux disséquer le processus progressif de sa destruction. On retrouve, dans le portrait de cette jeune fille parfois revêche, celui qui donnait tant de singularité au caractère de l’héroïne de Retour à Séoul, gage d’un regard contemporain qui tendrait à penser que la jeunesse saura davantage se dresser face à l’oppression. C’est sans compter sur la redoutable machine à laquelle elle devra faire face.
Le récit prend ainsi son temps pour mettre à plat les méthodes du monde du travail, où la question de la performance va pulvériser toute possibilité de s’en sortir. Le constat ne manque pas d’ironie lorsqu’on constate qu’il s’agit d’empêcher les abonnés à un opérateur de résilier leur contrat, en les contraignant à en prendre un nouveau : la machine, consistant à s’autonourrir et ne jamais perdre, est systémique, et conditionne l’intégralité des échanges. Partout, des tableaux, des classements, une mise en concurrence des employés, et une promesse de prime où l’on table sur l’épuisement pour faire craquer l’individu.
Le deuxième temps du film, consacré à l’enquête, pourra s’avérer un peu redondant, et la durée du récit (2h20) n’est pas toujours justifiée, notamment par quelques scènes assez superflues. De la même manière, le didactisme de certaines démonstrations et l’absence de nuance peuvent à certains moments empeser le propos, comme s’il était indispensable d’ajouter l’expression exacerbée de sentiments dans un milieu qui les avait proscrits.
Mais le film vaut pour sa plongée glaçante dans les rouages d’un système qui cache derrière des chiffres le culte de la performance, et contraint les écoles elles-mêmes à broyer les élèves pour alimenter les chiffres de l’emploi. On pourrait donc se demander l’intérêt de recourir à la fiction pour évoquer un sujet aussi en prise avec le réel, et la question est légitime. La réalisatrice July Jung prend ici le parti de faire vivre un individu, et de lui redonner l’humanité qu’on a détruite, dans une logique particulièrement perverse où les responsables se défaussent toujours sur l’humiliation de la victime, fustigeant ses incapacités, voire son caractère asocial. En suivant Kim Sohee, sa trajectoire et la manière dont elle perd à tous les coups (sous la pression de ses parents, de son prof, de son manager), haïe par ses pairs lorsqu’elle performe, détruite par ses supérieurs lorsqu’elle flanche, le récit redonne à voir un être rendu invisible. Le motif de la danse, qui ponctue à des instants cruciaux cette descente aux enfers, pourra libérer le corps meurtri, et ménager quelques espaces de langage au milieu du silence.
Fiche technique
About Kim Sohee
Scénario & Réalisation | July Jung
Image | Kim Il-yeon
Montage | Young-lim Lee et Ji-youn Han
Musique | Jang Young-gyu
Son | Kyuman Kim
Production | TwinPlus-Partners Co - Kim Dong-ha
Production | Crank-up Film Co - Kim Ji-yeon
FESTIVALS
Semaine de la Critique 2022 | Film de clôture
Auch 2022
FIFAM 2022 | Mention spéciale du jury et jury étudiant - Prix du public
Festival Télérama 2023
Reims Polar 2023 | Compétition
Le dossier de presse
La réalisatrice
July Jung
Née en 1980, à Yeosu, Jung étudie l’image et les médias à l’Université de Sungkyunkwan. Après son diplôme, elle continue naturellement avec la réalisation et entre au département cinéma de l’Université nationale des arts de Corée. Son premier long-métrage, A Girl at my Door, est présenté au Festival de Cannes dans la sélection Un Certain Regard, et reçoit des échos positifs de la part de nombreux médias internationaux.
Filmographie:
2014 A Girl at My Door
2010 Dog that Came Into My Flash (CM)
2008 11 (CM)
2007 Man Under Influence (CM)