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Goutte d'or Jeudi 6 Avril 20h30
Synopsis et détails
Ramsès tient un cabinet de voyance à la Goutte d’or à Paris. Habile et manipulateur, il a mis sur pied un solide commerce de la consolation. L’arrivée d’enfants des rues, aussi dangereux qu’insaisissables, vient perturber l’équilibre de son commerce et de tout le quartier. Jusqu’au jour où Ramsès va avoir une réelle vision.
Bande Annonce
Critiques


Il s’appelle Ramsès et la Goutte d’Or est son royaume. Au pied du métro Barbès, ses rabatteurs appâtent le client, distribuant par milliers des petits papiers imprimés d’une promesse : « Médium ». Ramsès reçoit, dans une pénombre travaillée à la bougie, des endeuillés prêts à payer en liquide pour des nouvelles de leurs chers disparus. Sa petite entreprise ne connaît pas la crise, d’ailleurs ses concurrents du quartier, voyants et autres « professeurs » d’origines diverses, lui reprochent de rafler leurs parts de marché. Ramsès s’en fiche, business is business.
Sa prospérité s’explique : il est bon, bluffant même. On jurerait que les morts lui parlent pour de vrai — d’une mamie retrouvée dans l’au-delà, d’une maison aux volets bleus, de souvenirs précieux, d’amour et de pardon. Le soir, dans un gymnase, Ramsès se produit en public, micro en main, mystifiant des familles éplorées de ses murmures consolateurs. « Je fais des petits spectacles. Quand les gens sont contents, ils reviennent », résume en coulisses le mage qui ne croit pas à la magie. Car il y a un truc, évidemment, une arnaque bien huilée que Goutte d’Or révèle habilement, sans hâte, sans rire, et que l’escroc n’a aucune envie de raconter aux gamins de Tanger qui font irruption dans sa vie. Moineaux livrés à la rue, à la drogue, à la violence, ils ont eu vent de ses talents et, au moins aussi effrayants que Les Oiseaux de Hitchcock, exigent qu’il retrouve un copain envolé.
Tension et atmosphère semblent d’abord ancrer le film sur le terrain connu du polar social —on pense au cinéma de Jacques Audiard, dont le complice, Thomas Bidegain, figure au générique en tant que consultant au scénario. Qui a vu Ni le ciel ni la terre, son premier long métrage de fiction (2015), le sait pourtant : Clément Cogitore, plasticien, metteur en scène et documentariste, a les pieds dans le réel et la tête ailleurs. Tordant le bras au film de guerre, il y confrontait déjà un territoire précis — une zone de désert montagneux à la frontière de l’Afghanistan et du Pakistan — à une menace invisible, surnaturelle, semant la panique tant chez les soldats français que chez les talibans. Point de terreur, ici, mais l’exploration fiévreuse, hallucinée presque, d’un arrondissement parisien en mutation, un coin du 18e populaire allant de Barbès à la porte de la Chapelle, entre trottoirs bondés et colossaux chantiers d’urbanisation, misère noire des mineurs exilés et inéluctables lendemains gentrifiés. Et un même goût pour le mystère, l’inexplicable, du fantastique à bas bruit, tenu hors champ, qui contamine le récit de son étrangeté.
En accordant une vision incroyable à Ramsès le mécréant, arroseur arrosé, Goutte d’Or le fait chavirer, et Paris avec lui. La ville se charge d’étincelles, transformant l’arrière-boutique d’une épicerie indienne en fonderie clandestine et un chantier à l’arrêt en tombeau à ciel ouvert. L’envoûtant ballet de bulldozers du début, sur une musique signée Couperin, rappelle l’oxymore à l’œuvre dans Les Indes galantes, où Cogitore mariait danses nées du hip-hop et tubes baroques de Rameau. Le réalisateur nimbe la dureté de Goutte d’Or d’une beauté onirique, tandis que l’excellent Karim Leklou, tout en opacité, colère et cynisme rentrés, troque la tristesse mesquine de son personnage contre la possibilité d’un émerveillement. Un rai de lumière dans les ténèbres.
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Présenté en séance spéciale à la Semaine de la Critique, sept ans après le premier long-métrage de Clément Cogitore, Ni le ciel ni la terre, révélé dans la même section cannoise, Goutte d’or obsède, passé le temps de sa découverte. Il faut dire que le cinéaste creuse et précise son exploration de la croyance. Il suit les pas d’un mage moderne. Ramsès n’est pas un pharaon égyptien, mais un marabout du quartier de la Goutte d’or, enclave populaire et métissée du dix-huitième arrondissement parisien. Ce consolateur moderne rivalise de magouilles et de manipulation pour faire prospérer son trafic, en attirant des âmes en peine vers ses services de prétendu voyant. Regard profond et opaque, Karim Leklou lui prête son talent immense et ses traits. Et son charisme unique, alliant magnétisme et inquiétante étrangeté. Il en faut pour porter ce récit d’un quotidien décalé vers le mystère mystique.
Le film démarre par une immersion introductive. En un enchaînement de plans précis, souvent serrés sur les visages et les regards, l’atmosphère est plantée. La scénographie de l’escroquerie se met en place, d’appartements mitoyens en cages d’escaliers, de caves en arrière-cours. Dans ce Paris ignoré et périphérique aux zones valorisées, le royaume de la survie transpire de chaque image. Surtout quand les conflits apparaissent, et qu’une bande de gamins intrépides débarque dans le récit et dans le quartier. Ils détraquent la mécanique bien huilée du cador, mais font naître aussi malgré eux un miracle qui ne dit pas son nom. Cogitore a l’art de filmer l’invisible et de donner forme à l’occulte. Comme un précipité chimique, la mise en scène, l’interprétation et le montage vont faire apparaître l’impossible en une scène.
Goutte d’or confirme la force du regard de son cinéaste. Il évacue le psychologisant et les résolutions appliquées et cartésiennes. Car il est ici question de chemins souterrains, qu’il faut emprunter avec son esprit. La route est semée d’inconnu, de mots de passe et de rébus. Elle s’appuie aussi sur une humanité en alerte, quand bien même elle est violentée. L’émotion perce avec discrétion, via les visages et les souffles des aînés et parents, émouvants personnages campés par Laure Duthilleul, Ahmed Benaïssa, Elsa Wolliaston et Loubna Abidar. L’avancée de cette immersion est sinueuse et rêche, mais la sensation est passionnante et entêtante. Et la route est d’or.
Un thriller à l’étrangeté déstabilisante
Ramsès, 35 ans, est voyant dans le quartier de la Goutte d’or, dans le 18e arrondissement de Paris. Manipulateur, aidé par des complices, il parvient à arnaquer de nombreux clients en détresse, avec son prétendu don. Son petit commerce, florissant, fait d’ailleurs de l’ombre à ses concurrents, qu’ils soient issus de communautés africaines, asiatiques ou caucasiennes. Mais l’arrivée de gamins venus de Tanger, violents et prêts à tout pour se faire de l’argent, va déstabiliser le quartier…
© Laurent Le Crabe - Kazak Productions - France 2 Cinéma
"Goutte d’Or" est le second long-métrage de Clément Cogitore, après "Ni le ciel ni la terre", et a été présenté en séance spéciale de la Semaine de la critique, au Festival de Cannes 2022. Situant son action dans le quartier de la Goutte d’Or à Paris, dans le 18e arrondissement, il s’agit là du portrait d’un faux voyant, dont les premières scènes du film ont l’habileté, grâce à un savant montage, de nous faire découvrir les dessous de son activité. Donnant à voir tout d’abord une séance type de voyance du point de vue du client, puis dans un second temps du point de vue des escrocs, les complicités autour du personnage trouble interprété par Karim Leklou, et les rouages du dispositif, sont ainsi mises à jour.
À partir de ce début passionnant, le réalisateur parvient ensuite à installer une réelle tension, en confrontant toute une communauté à une violence venue de l’extérieur. Une violence provenant d’une bande d’enfants, vivant dans la rue, et qui sont prêts à tout pour le moindre petit gain, voire pour « prendre » ce à quoi ils n’ont jamais eu droit. Avec une caméra instable, s’immisçant dans les recoins d’appartements qui paraissent étriqués, le réalisateur nous plonge dans une pénombre où évoluent toutes ces personnes de l’ombre. Convoquant quelques éléments fantastiques, alors que l’anti-héros a soudain réellement la vision du corps d’un gamin dans des décombres, le métrage nous entraîne ainsi dans ce monde d’agressions quotidiennes qui est celui des enfants, et dans lequel le personnage va se mettre lui-même en danger.
Le scénario possède de réelles qualités, jouant du don pour la manipulation de son personnage principal, pris en étau entre diverses menaces. Entre plans séquences saisissants, passages à la caméra nerveuse, "Goutte d’Or" lorgne du côté de certains polars poisseux, et offre à Karim Leklou un de ses rôles les plus troubles et les plus intenses. En grande partie nocturne, le film s'imprègne d'un quartier en proie à un chaos grandissant, où chacun tente de s’approprier une part du gâteau, ceci quels que soient les moyens. La passionnante trajectoire, en partie rédemptrice, d’un personnage qui va devoir prouver qu’il est bien le plus malin, au risque de se perdre en chemin, et surtout un réalisateur résolument à suivre.

De Clément Cogitore, on se souvient de son superbe premier long métrage Ni le ciel ni la terre et du majestueux documentaire Les Indes galantes. Il y avait dans ce récit de préparation d’opéra de la fougue, de l’amour et un intérêt puissant pour l’art musical et le cinéma. Cette fois, le cinéaste et créateur se lance dans une fiction plongée en plein cœur des quartiers populaires du nord de Paris. Le titre du long-métrage est emprunté en effet au nom du quartier du XVIIIe arrondissement. Les rues sont filmées de manière brute avec leurs populations bigarrées, la misère galopante, les trafics en tous genres et le commerce du rêve que de vagues médiums vendent à des âmes tourmentées.
En réalité, Goutte d’or échappe au gouffre du misérabilisme social grâce à la performance du comédien Karim Leklou. L’acteur interprète un menteur de talent qui s’adonne à des spectacles de voyance où il fait croire à ses victimes consentantes qu’il peut communiquer avec leurs morts. Il est si fort qu’il finit par ravir la plupart des clients qui viennent chercher du réconfort à ses collègues du quartier, déterminés à recouvrir leur place dans ce marché concurrentiel. Clément Cogitore ne lésine pas sur les émotions. Il montre le pire que ces quartiers populaires peuvent contenir. Le crime sordide, la manipulation criminelle, le mensonge, le communautarisme délétère hantent les relations sociales, dans des appartements sales, désordonnés, quand il ne s’agit pas des longues incursions nocturnes dans la rue.
Mais peut-être que Clément Cogitore en fait trop dans la sinistrose sociale. La fiction hésite entre la description sociologique, le policier et même le fantastique. En effet, brutalement, sans raison, l’histoire plonge dans une sorte de fable mystique qui met en scène d’affreux petits vauriens des rues, un père vieillissant un peu magicien, et des habitants crédules. Le héros succombe à son tour à un brouillage de la réalité, alors qu’il prend des risques extrêmes, au point de le faire flancher dans la délinquance. On est presque dérangé par le portrait acide qu’il fait de ces jeunes mineurs non accompagnés qui se révèlent des monstres de violence, de cynisme et de désarroi. Il y a donc quelque chose très gênant dans la mise en scène qui ne permet pas au spectateur d’éprouver une quelconque empathie à l’égard des personnages. À ce trouble s’ajoute celui d’un récit un peu confus, au risque de l’invraisemblance.
Mais s’il y a une chose à retenir de ce long-métrage, c’est l’interprétation flamboyante de Karim Leklou. L’acteur passe du français à l’arabe avec une facilité déconcertante. Il joue avec ses rondeurs, ses maladresses, sa bonhomie mais aussi la grande sensibilité qui exhale de sa gestualité. Goutte d’or ne sera pas le chef-d’œuvre du talentueux Clément Cogitore mais assurément confirmera la place majeure que Karim Leklou occupe aujourd’hui dans le cinéma français.

Un peu en colère, on avait quitté Karim Leklou dans les quartiers nord de Marseille. Le revoilà au pied du Louxor, à Barbes et avec lui tout un arrondissement, où la débrouille est, encore une fois, un moyen de survie. Mais ici, il n’y a pas de volonté de faire des forces policières le dernier barrage face aux barbares. Pour filmer ce quartier internationalement renommé, et pourtant si peu porté à l’écran, ce n’est rien moins que Clément Cogitore qui se met à table. L’homme est plus connu pour sa vision du désert (Ni le ciel ni la terre) ou de la toundra (Braguino) que du chaos urbain. Plus que la vie parisienne, ce qui intéresse le cinéaste est de capter un monde caché, un territoire où sortilèges et superstitions se mêlent. C’est quelque chose qui le fascine et, à Paris, c’est bien là-bas, dans le 18e qu’on le trouve.
Ramsès est surnommé « le mage », c’est le plus malin des diseurs de bonne aventure de Barbes. Il règne sur le quartier faisant enrager les anciens tout comme ses plus proches concurrents. Toute personne s’étant arrêtée au pied du mythique métro a fait la rencontre de ces rabatteurs promettant de retrouver le succès et l’amour, Ccest une industrie de la débrouille qui fait le charme du coin, et c’est aussi un monde qui se structure pour survivre au-delà de la légalité. Cogitore va dans un premier temps nous faire traverser les parois qui nous séparent de ces escrocs malgré eux. Nous montrer comment ils s’organisent pour procurer aux âmes perdues un peu de réconfort, en les allégeant de quelques billets. Il impose deux sortes de dispositifs, un classique et modeste : un premier dans un appartement parisien et un autre beaucoup plus spectaculaire surnommé « la salle ». Ramsès, au cœur de la scène, y est assisté d’un ingé son, spécialiste du numérique, mais également d’une rabatteuse et d’un complice dans l’auditoire pour créer une ambiance et mettre en confiance son public. Si l’on reste évasif sur ces dispositifs utilisés par Ramsès pour lire dans les pensées de son audience, la parabole est limpide. Il y a ici un autoportrait évident du cinéaste magicien dont l’art est la tromperie : exploiter des zones du réel pour concevoir un monde qui pourrait soigner les spectateurs. Cogitore se doute que pour réussir, il lui faut être escroc, se faire sa place dans une sphère où les prétendants aux succès sont nombreux.
Mais en se confrontant à la Goutte d’Or, Cogitore s’est laissé déborder par la vie tumultueuse du quartier et comme son héros, il a été dépassé par un groupe de gamins bouleversant la bonne tenue du récit. Son film aurait pu être qu’un thriller étrange, simple métaphore de la pratique de la mise en scène par un cinéaste apprécié dans le milieu de la critique parisienne. C’est bien plus que ça. Alors que Ramsès termine une de ses séances, il se retrouve sans trop savoir pourquoi sur un chantier où il découvre le corps d’un enfant. Ce môme, il le reconnaît, il fait partie d’une clique de voyous qui lui a piqué son talisman offert par son père (Ahmed Benaïssa, dont la mort est survenue à Cannes la veille de la présentation du film). Là où Ramsès fait les poches de ses victimes grâce à la ruse, cette bande use de la violence la plus brute pour voler tous ceux qui croisent son chemin. Appelons-le, Gang de Tanger. Depuis 2016, la Goutte d’Or découvre des enfants délinquants, totalement désocialisés qui se sont installés dans le quartier après un long périple partant du Maroc. Fuyant comme d’autres la pauvreté de leur pays, ils ont subi les pires horreurs et se retrouvent sans le vouloir au cœur du poumon criminel de Paris.
Si le territoire était jusqu’ici plutôt tranquille, on le devait plus aux intérêts du crime organisé qu’a la présence massive et stressante (pour tous) des forces de l’ordre équipé de fusils d’assaut et de Tasers. Pour que les trafics et la prostitution puissent se développer sans trop attirer l’attention, le calme est de rigueur. Le gang de Tanger, lui, est aussi remuant que n’importe quels gamins du même âge : la drogue et les armes blanches en plus. Ils ont 11 ou 15 ans, munis de couteaux et de bâtons, ils s’attaquent à tout ce qui passe. Clément Cogitore, tout comme les flics du quartier, les parrains du coin et les ONG, a été surpris par ce phénomène amené à s’amplifier au fur et à mesure que les politiques sociales et économiques se font brutales.
Mais là où les circuits criminels les manipulent occasionnellement (voir la série Engrenages), et les services de l’État ne font que les placer en garde à vue, Clément Cogitore à travers Ramsès cherche à apaiser ces gosses. S’il ne leur apporte pas de solution, il leur offre un moment d’humanité que la société leur a enlevé, sous l’œil de la caméra du cinéaste, ils redeviennent des orphelins de père, cachant leur rêve brisé à leurs mères. C’est en prenant un chemin inattendu que l’objet émeut. Ramsès l’escroc, maître de la goutte d’or, passe de victime du gang de Tanger en père protecteur de ces gamins désœuvrés. Si le titre choisi par le cinéaste donne à l’œuvre une dimension territoriale, avec l’ambiance qui va avec, le film est proposé à l’international sous un autre intitulé pourtant tout aussi juste : Sons of Ramsès.

Goutte d’or : si Barbès m’était conté
Posted by Tristan Tailhades on jeudi, mars 2, 2023 · Leave a Comment
Dans Goutte d’or, Clément Cogitore place dans le décor du quartier éponyme un conte sombre et poétique, où le portrait social se mue très vite en une troublante virée dans le fantastique.
Goutte d’or s’ouvre dans l’appartement encombré et labyrinthique, tout en corridors et portes dérobées, du grand médium Ramsès (Karim Leklou), marabout de quartier. On comprend bientôt la combine du médium, qui repose sur un objet dont le film ne cesse de faire usage : le téléphone portable. Code de déverrouillage, recherches sur Google, FaceTime, données supprimées, journal d’appels : il est souvent question de téléphones, de leurs fonctionnalités, de leur circulation dans ce film où l’on ne cesse de déambuler. Car à peine fini ce prélude médiumnique, le marabout faussaire, losernotoire, se lance dans une aventure en forme d’initiation aux côtés – et souvent sous la pression – d’un groupe d’enfants des rues, jeunes caïds de Tanger parlant plutôt l’arabe que le français, et qui prennent aussitôt le protagoniste pour le mage qu’il n’est pas, le lançant sur la piste d’un trésor de voyou – entendre cocaïne et argent sale.
Barbès-Rochechouart. Petits et gros trafics, billets chiffonnés qui circulent de main en main : Goutte d’or est-il un film de banlieue ? Oui et non, car si tout le personnel de ce genre est au rendez-vous – dealers et guetteurs, agents de la bac, gamins qui tournent mal, parents blédards inquiets pour leurs gosses pris dans les trafics – le film se défile presque aussitôt et trace sa propre route. D’abord parce qu’il évite les clichés du genre, les détournant avec humour ; les dealers ne refourguent pas de dope mais des prospectus pour leur marabout fétiche ; les réunions de gangs se font entre médiums de pacotille qui tentent de se partager la clientèle du quartier. Ensuite parce que le regard que Clément Cogitore porte sur ses personnages et les situations qu’il représente est dénué de toute l’intentionnalité lourde dans laquelle tombent souvent les films du genre. Ni misérabilisme, ni sensationnalisme, pas même le souci de documenter ou de faire vrai, Cogitore a d’autres projets.
Selon les lois intangibles du réalisme magique, tout personnage qui prétend frauduleusement posséder des pouvoirs finit inévitablement par en avoir – à son grand désarroi.
Intrigue et bouts de ficelle
Goutte d’or raconte une vraie histoire. Celle d’un personnage qui, se débattant dans une réalité sordide, bascule soudain dans le merveilleux d’une aventure magique. La ficelle scénaristique est usée : selon les lois intangibles du réalisme magique, tout personnage qui prétend frauduleusement posséder des pouvoirs finit inévitablement par en avoir – à son grand désarroi. Le médium charlatan devient mage pour de vrai, on s’y attendait. Pourtant, le film parvient à nous embarquer dans sa scénographie soignée, dans son jeu sur les ombres et les dimensions. On en a vu des espaces liminaux au cinéma : Cogitore les transcende, et leur rend leur rôle de seuil et de transition, de point de bascule. Tout au long du film, le vaste chantier de Porte de la Chapelle symbolise cet espace de franchissement. Toujours de nuit, toujours de loin, il s’étend de tous côtés, traversé par des véhicules tous phares allumés, barré de grillages, arpenté de formes humaines. C’est un espace de fouissement et de travail, de circulation et comme de maturation, où des phénomènes se produisent sur un arrière-plan perpétuel. Les personnages ne cessent de rôder autour de ce lieu vorace, de le fuir et d’y retourner. C’est l’enfer à proprement parler, qui évoque autant l’œuvre de Dante que les visions hallucinées d’un Lars Von Trier. Ce chantier central ne cesse d’étendre sa noirceur inexorable aux autres lieux du film, de l’appartement truqué du protagoniste au square où sévissent les enfants, en passant par le magasin de téléphonie qui s’ouvre sur un hypnotisant brasier de téléphones portables. Le médium, d’abord réticent, se laisse peu à peu entraîner dans cette errance louche.
Les scènes de médiumnité, pour truquées qu’elles soient, laissent le champ libre à la présence, à la voix, au rythme de l’interprète.
Le mage, son public et ses assistants
Clément Cogitore a donné à tous les personnages de cette troublante cavale, jusqu’aux plus secondaires, une vérité qui touche toujours juste, et amuse souvent. On rit aux réprimandes bourrues d’Elsa Wolliaston, la médium en chef, et aux mimiques du musicien qui accompagne le marabout dans ses spectacles. On finit par être touché par la gentillesse rugueuse du père du héros, un immigré dévot et complotiste, incarné par Ahmed Benaïssa dans son dernier rôle. Mais s’il est vraiment un point fort, qui donne à cette quête urbaine toute sa cohérence, c’est bien la performance de l’acteur principal, Karim Leklou, touchant en escroc comme en médium, en fils, en mage de pacotille. Les scènes de médiumnité, pour truquées qu’elles soient, laissent le champ libre à la présence, à la voix, au rythme de l’interprète. On admire aussi sa sincérité et la complicité qui se crée avec les sales gosses, partagés entre la révérence du mage, qui peut jeter un sort et le lever, et l’irrespect le plus total, si crédible et si bien joué par les petits diables. Les gamins de l’histoire sont autant les destinataires que les auteurs du conte : c’est leur crédulité qui fait du médium chiqué un mage. C’est parce qu’ils croient à la magie qu’ils entraînent dans leur longue virée dans la nuit un Ramsès de plus en plus piteux, de plus en plus largué dans une quête qui tient du roman noir et du conte de fée, du film de téci et du récit de griot, comme si Faust anticipait sur Enquête d’action ou que Kafka faisait du Ladj Ly.
Entre portrait social, fable fantastique et polar urbain, Clément Cogitore explore le quartier de la Goutte-d’Or à travers les déambulations de son antihéros, confronté soudain à l’occulte et à la recherche d’une inexprimable vérité.
Il s’appelle Ramsès et son royaume, c’est le quartier populaire de la Goutte-d’Or, à Paris, entre Barbès et les chantiers sans fin de la Porte de la Chapelle. C’est là qu’il officie, c’est là qu’on vient le voir et qu’on le paie, lui qui parle avec les morts et en rapportent les paroles, aux vivants endoloris, en pleurs. Celles qui réconfortent, qui consolent, qui avertissent aussi. Seulement voilà, il y a un truc, une combine qui roule et qu’il faut taire : Ramsès est davantage un escroc habile, très habile, qu’un véritable passeur avec l’au-delà. Mais le jour où Ramsès a une vraie vision, comme ça, sans prévenir, celle d’un gamin des rues disparu dont il retrouvera le corps sous des gravats, c’est non seulement son quotidien qui se retrouve chamboulé, mais surtout ses rapports avec l’occulte, avec l’intangible dont il faisait indûment commerce.
À l’instar de Ni le ciel ni la terre, c’est une part de mystère et d’étrange qui, soudain, vient s’immiscer dans un réel bien précis, que ce soient les montagnes arides de l’Afghanistan ou les rues et boulevards de la Goutte-d’Or où la violence des bandes de mineurs venus du Maroc agite la vie de tous les jours, et percutera de plein fouet celle de Ramsès. Clément Cogitore, qui a longtemps habité le quartier, en offre, à travers les déambulations de Ramsès cherchant comme une inexprimable vérité (sur ce jeune garçon mort, sur ce qui l’entoure, ou peut-être sur lui-même ?), une radiographie actuelle, presque documentaire. En capte les pulsations, les tensions et les incessants changements. Il explore également le milieu des marabouts et autres diseurs d’aventure qui, depuis des années, font pleinement partie du paysage de la Goutte-d’Or, milieu dont Ramsès a fait sien, à sa façon, les codes et les pratiques.
Le film se déploie ainsi, dans une sorte d’urgence, de fièvre, en un mélange des genres plutôt bien structuré (étude sociale, fable fantastique, polar urbain…) mais qui, paradoxalement, joue contre lui parce qu’on aurait préféré, mais tous les goûts sont dans la nature, que Cogitore se concentre davantage sur l’aspect mystique qui entoure Ramsès et ses racines (voir par exemple sa relation avec son père, intéressante mais trop peu développée). On ressort de Goutte d’or en se disant oui, oui on a vu un film singulier, un film qui intrigue, et puis superbement, et même intensément habité par Karim Leklou, mais en n’en retenant pas grand-chose au final, quelques images fortes, quelques impressions qui marquent sur l’instant, mais qui pourra dire quoi d’autre ?
Fiche technique
Goutte d’or
France 2022
Réalisation : Clément Cogitore
Scénario : Clément Cogitore, Thomas Bidegain, Fanny Burdino, Camille Lugan, Nadja Dumouchel
Image : Sylvain Verdet
Producteur(s) : Jean-Christophe Reymond, Amaury Ovise
Production : Kazak Production
Interprétation : Karim Leklou (Ramsès), Malik Zidi (Michaël), Yilin Yang (Grace), Ahmed Benaissa (Younes), Elsa Wolliaston (Céleste), Farida Ouchani (Capitaine Berthier)...
Distributeur : Diaphana Distribution
Date de sortie : 1 mars 2023
Durée : 1h38

Le réalisateur

Clément Cogitore
De nationalité française
Né le 27 août 1983 à Colmar (France)
1- Mise en scène
Le sens du rite et la manifestation du sacré sous-tendent l’ensemble de l’œuvre de Clément Cogitore, inspirée par les rassemblements, les phénomènes communautaires (Ni le ciel ni la terre, 2015; Braguino, 2017); l’expression des révoltes (Tahir, 2015) la forces des marginaux (Parmi nous, 2011 ; Assange Dancing, 2012, ) et des croyances d’aujourd’hui, fussent-elles erratiques ou diffuses (Goutte d'or, 2022). L'artiste s’y confronte et y répond avec une intensité visuelle et un sens du conte qui confine au fantastique.
Au travers de films, d’installations vidéo et de photographies, Clément Cogitore perturbe le flux narratif existant de manière à troubler les distinctions entre réalité et fiction. Il guette au coeur du réel les traces d'un monde fabuleux qui le sous-tendrait. Dans ses fragments narratifs microcosmiques, les mythologies personnelles et collectives se manifestent et font remonter à la surface des angoisses existentielles enfouies liées aux conflits, à l’identité, à la communauté et, en définitive, à la survie, qui ont des répercussions non seulement sur des préoccupations sociétales plus larges, mais aussi sur leurs solutions.
2 - Biographie
Né en 1983 à Colmar, Clément Cogitore suit des études à l’Ecole supérieure des arts décoratifs de Strasbourg, et au Fresnoy-Studio national des arts contemporains. Il développe une pratique à mi-chemin entre cinéma et art contemporain. Mêlant films, vidéos, installations et photographies, son travail questionne les modalités de cohabitation des hommes. Il y est le plus souvent question de rituels, de mémoire collective, de figuration du sacré ainsi que d’une certaine idée de la perméabilité des mondes. Parmi nous (2011) filme ainsi les tentatives des émigrés clandestins de s'embarquer pour l'Angleterre à partir du port de Ouistreham. Plus qu'un idéal d'un ailleurs probablement très difficile, c'est la possibilité d'une fraternité et d'un partage immédiat qui est évoquée par deux fois, fugitivement, dans deux espaces étranges et irréels du film.
Ses films ont été sélectionnés dans de nombreux festivals internationaux (Quinzaine des réalisateurs Cannes, festivals de Locarno, Lisbonne, Montréal…) et ont été récompensés à plusieurs reprises. Son travail a également été projeté et exposé dans de nombreux musées et centre d’arts (Palais de Tokyo, Centre Georges Pompidou – Paris, Haus der Kultur der Welt – Berlin, Museum of fine arts – Boston…).
Clément Cogitore a été récompensé en 2011 par le Grand prix du Salon de Montrouge, puis nommé pour l’année 2012 pensionnaire de l’Académie de France à Rome-Villa Médicis.
En 2015, son premier long-métrage Ni le ciel, ni la terre est situé en Afghanistan où, à l’approche du retrait des troupes, le capitaine Antares Bonassieu et sa section sont affectés à une mission de contrôle et de surveillance dans une vallée reculée du Wakhan, frontalière du Pakistan. Le film est sélectionné à la Semaine de la critique du Festival de Cannes et récompensé en 2016 par le prix du Meilleur premier film français décerné par le Syndicat Français de la critique de cinéma, nommé pour le prix Louis-Delluc ; le prix Lumière ainsi que pour le César du meilleur premier film. En 2017, il part au milieu de la taïga sibérienne, à 700 km du moindre village, pour filmer l'antagonisme des deux grandes familles qui se sont installées dans cet enfer. Son documentaire, Braguino, est récompensé par de nombreux prix en festivals (Telluride, San Sebastian, Marseille, Toronto, Buenos Aires, Moscou...).
En 2018, il est lauréat du prix Marcel-Duchamp pour l'art contemporain. Son travail figure dans de nombreuses collections privées et publiques telles que le Centre Georges-Pompidou – Musée national d'Art moderne, la Fondation Louis Vuitton, le FNAC Fonds national d'art contemporain.
En 2018, Clément Cogitore réalise un court métrage de 5 minutes mettant en scène un passage de l'opéra baroque Les Indes Galantes, de Rameau. Il y intègre des danses contemporaines (hip-hop et krump). Ce court-métrage est remarqué par le directeur de l'Opéra de Paris qui lui propose de mettre en scène l'ensemble de l'œuvre. Il collabore avec la chorégraphe Bintou Dembélé dans le cadre de ce projet, dont la première a lieu en septembre 2019. La production de ce spectacle est mis en scène dans Les Indes galantes, documentaire de Philippe Béziat. L'opéra est nominé par le New York Times parmi les 10 meilleures productions lyriques de l'année 2019, élu meilleure production d'opéra 2019 par Il Giornale della Musica et remporte le Trophée de la meilleure nouvelle production 2019 de Forum Opéra. Depuis 2018, Clément Cogitore est professeur à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris, où il dirige un atelier.
En 2022, son deuxième long-métrage de fiction, Goutte d'or, est sélectionné à la Semaine de la critique du Festival de Cannes. Le titre du film renvoie au quartier de Paris mais aussi à une dimension métaphorique, à la fois visuelle et initiatique, entre conte et violence urbaine.
Filmographie :
Courts-métrages - installations vidéo :
2005 : Travel(ing). vidéo, PAL 4:3, couleur, 3min 50s. Vidéo-performance pour un camion, un groupe électrogène et un projecteur 16 mm. «Travel(ing)» confronte la réalité d’une expérience à sa représentation cinématographique. Sur l’arrière d’un camion en marche la nuit est projeté un film 16 mm représentant la route parcourue par ce même camion, de jour. L’image cinématographique fragile et vacillante attire l’œil du spectateur comme la lumière les papillons de nuit, et raconte par une mise en abyme le pouvoir hypnotique des images en mouvement.
2005 : Travel(ing)2011 : Bielutine - Dans le jardin du temps
2006 : Chroniques
2007 : Visités
2010 : Scènes de chasse
2011 : Bielutine - Dans le jardin du temps. 0h35.vReclus dans leur appartement de Moscou, Ely et Nina Bielutine veillent jalousement sur l'une des plus importante et mystérieuse collection d'art de la renaissance. Entourés de leur corbeau, de leur chats, et sous l'œil de Léonard, Titien, Michel-Ange et Rubens, Ely et Nina évoluent dans une fiction, un monde qui n’existe que pour eux, un monde où l'art et le mensonge ont peu à peu pris le pas sur la réalité.
2011 : Parmi nous. Amin, jeune clandestin, vient de rejoindre un campement dans la forêt. Chaque nuit est l’occasion de tenter de gagner la zone portuaire et d’embarquer sous les camions. Au cours de ses tentatives, il découvre qu’entre la forêt et les hommes qui la parcourent, agissent d’autres groupes, d’autres visages, d’autres espaces.Parmi nous a bénéficié de l'aide à la production de court métrage de la Région Basse-Normandie. Le film a été tourné dans le Calvados, à Blainville-sur-Orne, Merville-Franceville, Ouistreham, Saint-Aignan de Cramesnil et Touffréville, avec les services du Bureau d'accueil de tournages de la maison de l'image. Les repérages dans le port de Ouistreham n'ont toutefois abouti qu'à une interdiction de tourner. Ce repli frileux des autorités préfectorales a conduit Clément Cogitore à reconstruire ses décors dans un autre lieu, leur donnant par ailleurs une intensité fantastique et prophétique qui aurait peut-être été moins forte dans des décors naturels.
2011 : Un archipel. vidéo PAL 16:9, couleur, 11 min 27 avril 2008, 14h G.M.T : le sous-marin à propulsion nucléaire H.M.S Astute quitte la base navale d’Édimbourg pour une mission de transfert de personnel. Cette dernière sortie sera par la suite considérée comme l’un des épisodes les plus désastreux de l’histoire de la marine britannique. Réalisé en grande partie à partir d’images trouvées sur Internet et d’agences de presse, et ponctué par de nombreux cartons de texte, Un archipel s’aventure au croisement du cinéma muet, du cinéma expérimental et du storytelling hollywoodien.
2012 : Memento Mori. vidéo, HDCAM 16:9, couleur, 64 min. Dans le cadre fixe de l’image, cinq loups émergent de la brume. Comme des condamnés, ils errent dans un espace artificiel tenant à la fois du square pour enfants, du décor d’opéra et de l’enclos d’un zoo. « Memento Mori » est un tableau vidéo accompagnant un oratorio composé de cantates morales inédites du compositeur Luigi Rossi et de madrigaux spirituels de Claudio Monteverdi. La pièce se présente sous la forme d’une vanité, expression de la finitude de l’homme et de la vacuité de son existence. Cette proposition musicale conçue par Geoffroy Jourdain, encadre la lecture par Benjamin Lazar du «Sermon du Mauvais Riche», l’un des plus célèbres textes de Jacques-Bénigne Bossuet. En le prononçant au Louvre en 1662 devant le roi et sa cour, Bossuet confronte pour la première fois publiquement le pouvoir à la question du partage des richesses. « Suivre en temps réel l’errance d’une petite meute, captive et résignée. Raconter la mort comme une histoire pour enfants. Partager un purgatoire parcouru d’ennui et d’effroi. Filmer l’enclos comme on filmerait une nature morte. » Clément Cogitore.
2012 : Tahrir. vidéo, 16:9, couleur, 7min 50s «Tahrir» consiste en un montage stroboscopique d’images de la place Tahrir, tournées pendant la seconde révolution égyptienne. La vidéo affiche successivement, et à une fréquence de 25 images par secondes, une image des forces de l’ordre puis une image des émeutiers. Par la persistance rétinienne, l’oeil du spectateur les assemble dans une troisième image fantôme : celle d’un champ de bataille hypnotique et brutal.
2012. Assange Dancing. Vidéo, 16:9, couleur, 6min 56s « Assange Dancing » a été réalisé à partir d’une vidéo amateur tournée puis mise en ligne par le DJ du 'Glaumbar', une boîte de nuit de Reykjavik en 2011. On y voit l’activiste et fondateur de Wikileaks, Julian Assange, s’animer sur un dancefloor presque désert, livré à une solitude totale. L’homme représente pourtant par la force de son action une foule à lui seul. En revisitant l’image d’origine par la boucle et le ralenti, «Assange Dancing» confère à la danse l’aspect d’une transe rituelle : celle d’un homme chassant les démons.
2012 : Tahrir2012. Assange Dancing.
2014 : Élégies.vidéo, HD 16:9, couleur, 6min 52s Des centaines de petits écrans lumineux flottent au-dessus d’une marée humaine : le public d’un concert photographie à l’aide de téléphones portables une scène hors-champ. Comme les sous-titres d’un chant absent, ou de la voix intérieure d’un narrateur invisible, des vers des «Élégies de Duino» de Rainer Maria Rilke rythment ce gigantesque élan collectif aux airs de liturgie numérique.
2016 : L'intervalle de résonance.vidéo, HD 16:9, couleur, 22min 37s. À travers les images et les histoires générées par deux manifestations aux origines physiques inexpliquées : la perception supposée de sons émis par les aurores boréales, et l’apparition d’une formation lumineuse mystérieuse en Alaska, le récit s’établit à mi-chemin entre mythologie personnelle et collective, entre protocole scientifique et célébration rituelle, entre fiction et documentaire. Dans les deux cas, les superstitions et les systèmes de croyance Inuit et Saami viennent perturber la recherche d’explications scientifiques. Aux images stratosphériques qui se reflètent sur le sol, s’ajoute la dispersion dans l’espace plongé dans le noir d’une voix polyglotte et d’une musique céleste composée par les compositeurs italiens d’avant-garde Francesco Filidei et Lorenzo Bianchi Hoesch induisant une perte des repères spatiaux, une perturbation des sens.» Daria de Beauvais Commissaire de l’exposition « L'intervalle de résonance », Palais de Tokyo, Paris, 2016.
2014 : Élégies2016 : L'intervalle de résonance
2017 : Lascaux. Film 16mm, couleur, 45s. Clément Cogitore redonne vie au film d’archive en le filmant à nouveau de manière à mettre en scène à sa surface une envolée de papillons, dont les ailes deviennent elle-mêmes des surfaces de projection et dont les ombres en mouvement se déploient sur les parois rocheuses : le motif de ces papillons (il s’agit de Monarques, orangés et veinés de noir, surmontés de menues taches blanches) dialogue avec les ocres de la grotte, mais ce qui intéresse surtout l’artiste est bien de jouer de la cadence de leurs ailes, de la vibration de leurs battements, induisant une réflexion sur la technicité de l’image cinématographique, au moment-même où le défilement de la pellicule a laissé la place à sa dématérialisation, en devenant signal vidéo. Néanmoins, malgré l’évolution technologique, le rituel du cinéma, la magie de sa lanterne, ou celle de toute création artistique, persiste : comme les hommes de Lascaux, nous portons un regard sur la nuit originelle et nous devinons des formes dans les pierres. Nous entretenons avec le monde un rapport d’intimité tel que la seule manière de le traduire est de faire l’expérience d’un secret, de vivre la profondeur d’une 'énigme à résoudre'. Dans la caverne mentale ou dans celle du cinéma, l’inintelligible est au cœur, si bien que nous écarquillons toujours les yeux face aux images ; preuve que nous gardons en nous, toujours intact, un pur désir d’émerveillement.
2018 : The Evil Eye. vidéo, HD 16:9, couleur, 14min 46s. «The Evil Eye» est entièrement réalisé à partir d’images préexistantes. Le récit d’une voix féminine y traverse des scènes anonymes et stéréotypées, empruntées à des banques d’images mondiales où se fournissent les producteurs de clips publicitaires et de campagnes politiques. "Une dramaturgie ambivalente s’installe peu à peu, où l’indifférenciation identitaire entre en tension avec un registre allégorique. L’installation prend la tournure d’une boîte optique. Le fourmillement d’un grand écran LED happe le regard dans un espace paradoxalement intime, où l’autorité du dispositif médiatique et celle du spectateur entrent l’une et l’autre en dérive". Marcella Lista, Historienne de l'art, Conservateur au Centre Pompidou - MNAM.
2017 : Lascaux2018 : The Evil Eye
2018 : Les indes galantes, vidéo, HD 16:9, couleur, 5min 26s. Clément Cogitore adapte avec la collaboration des trois chorégraphes Bintou Dembele, Brahim Rachiki et Igor Carouge une courte partie du ballet en mobilisant un groupe de danseurs Krump, une forme d’art né dans le ghetto noir de Los Angeles dans les années 1990. Dans l’atmosphère violente des émeutes déclenchées par le passage à tabac de Rodney King et de la répression policière brutale qui s’ensuit, de jeunes danseurs ont commencé à exprimer par le Krump les violentes tensions à l’œuvre dans le corps physique, social et politique. Entre la danse tribale exécutée à Paris en 1723 et les danseurs de Krump d’aujourd’hui se produit comme un court-circuit dans l’histoire des peuples et des formes, ou il s’agirait avant tout de raconter, comme dans l’intrigue des Indes Galantes, l’histoire de jeunes gens dansant au-dessus d’un volcan. «Le corps est rarement non politique chez Clément Cogitore, comme chez ses danseurs qu’il met en scène dans son vidéo 'Les Indes Galantes'. Cogitore en livre une nouvelle vision, sa mue contemporaine. (...) Grimaces, intimidations, la gestuelle fonctionne comme une puissante catharsis et libère dans sa transe les tensions sociopolitiques. A mesure que la musique baroque enveloppe le corps des danseurs, la violence contenue disparaît par ondes et la grâce s’affiche, puissante, victorieuse, évidente.» Léa Chauvel-Lévy Critique d’art
2022 : Morgestraich; Vidéo 4K, couleur, stéréo, 4’10’’ commande à l’occasion de la 16e édition de la Biennale de Lyon
2018 : Les indes galantes2022 : Morgestraich
Longs-métrages :
Avec : Jérémie Renier (Antares Bonnassieu), Kévin Azaïs (William Denis), Swann Arlaud (Jérémie Lernowski), Marc Robert (Jean-Baptiste Frering). 1h42.
Afghanistan 2014. A l’approche du retrait des troupes, le capitaine Antarès Bonassieu et sa section sont affectés à une mission de contrôle et de surveillance dans une vallée reculée du Wakhan, frontalière du Pakistan. Malgré la détermination d’Antarès et de ses hommes, le contrôle de ce secteur supposé calme va progressivement leur échapper. Une nuit, des soldats se mettent à disparaître mystérieusement dans la vallée.
2017Braguino
Documentaire. 0h50.
Au milieu de la taïga sibérienne, à 700 km du moindre village, se sont installées 2 familles, les Braguine et les Kiline. Aucune route ne mène là-bas. Seul un long voyage sur le fleuve Ienissei en bateau, puis en hélicoptère, permet de rejoindre Braguino. Elles y vivent en autarcie, selon leurs propres règles et principes. Au milieu du village : une barrière. Les deux familles refusent de se parler. Sur une île du fleuve, une autre communauté se construit : celle des enfants. Libre, imprévisible, farouche. Entre la crainte de l’autre, des bêtes sauvages, et la joie offerte par l’immensité de la forêt, se joue ici un conte cruel dans lequel la tension et la peur dessinent la géographie d’un conflit ancestral.
2019Les Indes Galantes
Avec : Sabine Devieilhe, Florian Sempey, Jodie Devos, Edwin Crossley-Mercer. 3h09
Captation de l'opéra dont il assure la mise en scène et dont il interprète ce rôle dans le film de Philippe Béziat
2022Goutte d'or
Avec : Karim Leklou (Ramsès), Malik Zidi (Michaël), Yilin Yang (Grace), Ahmed Benaissa (Younes). 1h38.
Ramsès, trente-cinq ans, tient un cabinet de voyance à la Goutte d’or à Paris. Habile manipulateur et un peu poète sur les bords, il a mis sur pied un solide commerce de la consolation. L’arrivée d’enfants venus des rues de Tanger, aussi dangereux qu’insaisissables, vient perturber l’équilibre de son commerce et de tout le quartier. Jusqu’au jour où Ramsès va avoir une réelle vision.
Les interviews

La BO
Clément Cogitore a choisi la musique de François Couperin en contrepoint de cette symphonie urbaine tragique, pour incarner, et épaissir la symbolique de ces enfants errants, et plus particulièrement la pièce pour clavecin Les petits âges - l'enfantine, interprétée dans plusieurs versions au sein du film :
Pour aller plus loin

Côté court
UN ARCHIPEL DE CLÉMENT COGITORE
Expérimental - 2011 - Noir & Blanc et Couleur - HD - 11 min
Son : NIcolas Bourgeois, Julien Ngo Trong
Montage : Isabelle Manquillet
Musique : Eric Bentz
Scénario : Anaël Chadli
Synopsis : 27 avril 2008, 14h00 g.m.t : le sous-marin à propulsion nucléaire H.M.S Astute quitte la base navale d’Edimbourg pour une mission de transfert de personnel. Les évènements qui suivront feront de cette sortie un des épisodes les plus désastreux de l’histoire de la marine britannique.
Clément Cogitore est le lauréat du Prix Marcel Duchamp 2018. Atelier A lui a rendu visite en 2015 à l'occasion d'une exposition à la galerie White Project. Visite de la "chambre noire" de l'artiste entre documentaire, art contemporain et cinéma. Un élément fédère la pluralité de ses pratiques, le questionnement sur les pouvoirs de la vision et le potentiel métaphysique des images.
Conçu avec les graphistes José Albergaria et Rik Bas Backer (Change is good), le livre égrène les chapitres de ce conte cruel, les images du rêve d’isolement et de communion avec la nature s’assombrissant peu à peu inéluctablement vers les images crépusculaires d’un monde menacé de toutes parts. Les textes de Léa Bismuth (entretien avec Clément Cogitore) et de Bertrand Schefer éclairent l’intention de Clément Cogitore et reviennent sur la portée de la faillite de l’idée communautaire.