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Le bleu du caftan Jeudi 20 Avril 20h30
Synopsis et détails
« Halim est marié depuis longtemps à Mina, avec qui il tient un magasin traditionnel de caftans dans la médina de Salé, au Maroc. Le couple vit depuis toujours avec le secret d’Halim, son homosexualité qu’il a appris à taire. La maladie de Mina et l’arrivée d’un jeune apprenti vont bouleverser cet équilibre. Unis dans leur amour, chacun va aider l’autre à affronter ses peurs.»
Bande Annonce
Critiques


Dans Adam (2019), Maryam Touzani racontait une émancipation et un retour de la vie dans le huis clos d’une modeste pâtisserie. La noblesse d’un petit artisanat en voie de disparition et le réveil de désirs longtemps refoulés sont, à nouveau, au cœur du deuxième, et splendide, long métrage réalisé par l’actrice marocaine. Avec une différence majeure : il est cette fois question d’homosexualité, sujet encore tabou en terre d’Islam.
Halim, tailleur traditionnel dans la médina de Salé, confectionne à la main des caftans richement brodés dans la boutique gérée par sa femme, Mina. Le couple est très complice, uni peut-être plus encore qu’aux premiers jours, mais vit depuis toujours avec le secret d’Halim, attiré par les hommes. Alors que les jours de Mina, en récidive d’un cancer, sont comptés, un étonnant triangle amoureux va se former avec l’arrivée d’un jeune apprenti, Youssef.
Tandis qu’Halim prépare le tissu de la tunique luxueuse dont la conception rythmera tout le récit, le couturier explique à son élève l’importance de la marge entre la ligne de découpe et le patron du vêtement : c’est « le centimètre du mâalem » (le maître artisan), qui fait la différence entre une création exceptionnelle et les produits standardisés des usines. Le film de Maryam Touzani se situe, lui aussi, dans cette bande étroite, et fragile, qui fait les grandes œuvres. Pour rester dans la métaphore couturière, la mise en scène a la précision millimétrée des dentellières pour rendre sensibles, dans des clairs-obscurs délicats, les désirs contraints d’Halim (Saleh Bakri, élégant et subtil), la douleur de Mina (Lubna Azabal, poignante), le trouble de Youssef (Ayoub Missioui, toujours juste). Si les émotions ne s’y expriment qu’avec la plus grande pudeur, Le Bleu du caftan déborde en revanche de sensualité. Pas besoin de scènes érotiques pour cela (les rencontres d’Halim avec ses amants passagers au hammam sont, d’ailleurs, laissées hors champ) : des gros plans de mains caressant un tissu ou palpant une broderie suffisent.
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Un couple d’artisans dans une médina du Maroc
Mina et Halim forment un couple qui travaille ans la médina de Salé, une ville qui jouxte Rabat, la capitale du Maroc. Une femme et un homme qui, au premier abord, donnent l’impression d’être tombé.e.s dans la routine qui, parfois, guette les couples mariés depuis plusieurs années. Halim est un artisan tailleur de très grande qualité, considéré comme un « mâalem », un maître, dans son métier. Sa spécialité, ce sont les caftans, ces tuniques longues richement brodées qui sont portées par les femmes marocaines lors des cérémonies telles que mariages ou fêtes religieuses. Il y a toutefois caftan et caftan ! Il y a ceux qui sont confectionnés amoureusement à la main par des « mâalems » comme Halim, des caftans qui se transmettent de mère à fille, des caftans qui, 50 ans après leur confection, sont toujours aussi splendides. Et puis il y a ceux qui sont confectionnés à la machine : c’est plus rapide, cela coute moins cher à l’achat, mais, bien entendu, la qualité n’est pas la même. Pour les artisans, la concurrence des machines est difficile. Difficile aussi de trouver des apprentis et d’avoir le temps de les former, les rares jeunes hommes qui acceptent de commencer ce type de travail ayant le plus souvent la fâcheuse tendance de partir assez vite vers un métier moins difficile et plus rémunérateur. Autant dire qu’Halim se montre satisfait de Youssef, arrivé depuis peu auprès de lui et qui semble prendre goût à ce qu’il lui apprend. Mina, par contre, se montre beaucoup moins enthousiaste. Ce n’est que petit à petit que l’on comprendra le pourquoi de ce manque d’enthousiasme : elle qui connait bien Halim, elle qui sait tout de lui, a en fait compris plus vite que son mari le type de relation qui commençait à naître entre Youssef et Halim. Ce n’est également que petit à petit que va se dévoiler à nous la maladie dont elle souffre.
Un couple atypique
C’est en faisant des repérages pour Adam dans la médina de Salé que Maryam Touzani a fait la connaissance de celui qui allait lui inspirer le personnage de Halim : un coiffeur pour dames dont elle a vite compris le drame qu’il vivait intimement, le fait de ne pas pouvoir vivre sans risque son homosexualité dans un pays conservateur comme le Maroc. Par ailleurs, ayant toujours été fascinée par le caftan de sa mère qu’elle avait fini par pouvoir porter elle-même, elle a transformé le coiffeur en maître tailleur de caftans. Dans ce couple atypique formé par Mina et Halim, un couple dont la relation a évolué au cours des années et dont on va petit à petit prendre conscience de l’amour véritable qui les lie, la réalisatrice a choisi de faire de Mina une femme qui, par amour pour son mari, cherche à le protéger d’un monde extérieur qui, à coup sûr, le rejetterait si la vérité éclatait au grand jour. Ce faisant, elle est devenu l’élément dominant du couple, ce qui tend à rendre Halim de plus en plus vulnérable.
Deux éléments vont permettre de briser ce cercle vicieux : d’un côté, la rechute d’un cancer du sein pour Mina qui décide d’arrêter tout traitement de sa maladie et de laisser faire la nature, avec la conscience très claire d’une fin à la fois inéluctable et proche ; de l’autre côté, le sentiment amoureux qui nait entre Youssef et Halim et dont Mina a pris conscience avant même son mari. Jusqu’à l’arrivée de Youssef, il n’y avait que la passion pour son métier et son expertise dans la confection des caftans qui permettaient à Halim de s’exprimer en dehors de son couple et de brèves rencontres sans lendemain et sans amour dans un hammam pour satisfaire sa libido. Modifiant son jugement sur Youssef, Mina voit en lui la possibilité de partir en laissant un mari qui, pouvant enfin s’accepter tel qu’il est, pourra à terme trouver un véritable épanouissement. De son côté, les circonstances vont permettre à Halim de montrer à sa façon l’amour très fort qu’il portait à Mina.
Une grande réalisatrice, particulièrement bien entourée
Mise dans de mauvaises mains, l’histoire que raconte Maryam Touzani aurait pu donner naissance à un mélo de mauvais aloi accompagné par une musique omniprésente chargée de rajouter une couche supplémentaire d’émotion factice. Heureusement Maryam Touzani ne mange pas de ce pain là. Avec elle, tout est suggéré avec délicatesse, que ce soit l’amour entre deux êtres ou la beauté du travail manuel réalisé par des artisans talentueux, des professions malheureusement en voie de disparition. Le but de la réalisatrice, c’est de raconter le maximum de choses à travers les regards, sans avoir besoin de les verbaliser. Quant à la musique, elle est présente mais elle est utilisée avec parcimonie. Bien entendu, pour réussir un tel film, il était indispensable pour la réalisatrice d’être bien entourée. Pour l’image, Maryam Touzani a fait appel, comme pour Adam, à Virginie Surdej, l’excellente directrice de la photographie belge présente, entre autres, sur les films de Nabil Ayouch et sur Une famille syrienne. Avec cette grande professionnelle, la sensualité des personnages est bien mise en valeur, tout comme est parfaite l’utilisation de la lumière pour magnifier les tissus utilisés et le travail méticuleux du maître tailleur.
Quant au trio de personnages autour duquel tourne toute l’histoire du film, il est magnifiquement interprété par Ayoub Missioui, Saleh Bakri et Lubna Azabal. Ayoub Missioui, l’interprète de Youssef, est un jeune comédien de 25 ans originaire de Casablanca qui a su compenser son manque d’expérience par un gros travail en amont du tournage. Saleh Bakri, l’interprète de Halim, est lui très expérimenté. Palestinien d’origine, on a déjà apprécié son très grand talent dans de nombreux films, tels La visite de la fanfare, La source des femmes et Wajib – L’invitation au mariage. Quant à la comédienne belge Lubna Azabal, l’interprète de Mina, sa filmographie est particulièrement importante. Toujours excellente, elle est encore plus que cela dans Le bleu du caftan. Pour « vivre » le personnage d’une femme atteinte d’un cancer et qui sait qu’elle va mourir, voulant vraiment sentir la mort dans son corps, elle a pris le risque de perdre plusieurs kilos. Et que dire de la sensibilité qui émane d’elle à chaque prise de parole !
Conclusion
Après Adam, Le bleu du caftan prouve à nouveau le grand talent de Maryam Touzani, une réalisatrice experte dans l’art de l’utilisation des non-dits, une réalisatrice qui sait générer une émotion exempte de tout pathos, exempte de toute lourdeur. Un magnifique trio d’interprètes et une excellente directrice de la photographie viennent ajouter leurs qualités à celles de la réalisatrice et contribuent à faire de cet hymne à l’amour, à la beauté du métier d’artisan et à la liberté qu’est Le bleu du caftan, sélectionné à Un Certain Regard lors de Cannes 2022, un film qui avait largement sa place dans la grande compétition cannoise.
Il est rare qu’un film ait la puissance émotionnelle du tranquille et digne du Bleu du Caftan de Maryam Touzani. À première vue, un film sur un maalem marocain, un maître tailleur qui, avec sa femme, prend un nouvel apprenti, ne semble pas être le cadre le plus propice à un drame profond. Pourtant, il y a dans Le Bleu du Caftan (le titre fait référence à un vêtement élaboré que le maalem confectionne sur commande pour un client exigeant) un sens tissé à partir de l’assemblage élaboré par Touzani des éléments de l’intrigue subtilement introduits, des éléments qui, une fois réunis, créent une œuvre profondément émotionnelle.
Les enjeux sont plus importants que la simple création d’un vêtement dans le cadre d’un échange commercial. Le maalem, Halim (Salem Bakri), est un artisan religieux et pointilleux ; sa femme, Mina (Lubna Azabal), est dévouée à sa réussite. Leur boutique de vêtements à l’ancienne se trouve au centre de la médina de leur ville, où les clients sont encore occasionnels, même si l’artisanat d’Halim est un savoir-faire en perte de vitesse. Touzani fait un gros plan sur le travail de Halim : ses mains douces et habiles caressent avec amour les soies élégantes, guidant habilement son aiguille à travers le tissu pour réparer les ourlets et broder les détails. La sensualité de l’art de Halim n’échappe pas à son jeune apprenti Youssef (Ayoub Missioui), dont l’intérêt romantique pour le maalem se manifeste dès le début. La beauté de Youssef n’échappe pas non plus à Halim, qui s’est trouvé une routine clandestine en se rendant dans un hammam voisin pour de brefs essais sexuels avec d’autres hommes, derrière les portes fermées de cabines privées. Halim n’est ni insensible ni dédaigneux du regard langoureux de Youssef. Pendant ce temps, Mina observe les interactions entre son mari et son apprenti d’un œil méfiant et prudent.
L’exploration de l’homosexualité masculine par Touzani se déroule dans un pays où l’activité sexuelle entre personnes du même sexe est criminalisée et passible de peines allant jusqu’à trois ans d’emprisonnement. C’est en soi un acte audacieux et transgressif. Les aventures anonymes d’Halim pourraient le conduire en prison, tout comme la poursuite d’une relation avec le jeune Youssef. Le Bleu du Caftan n’est qu’occasionnellement explicite, impliquant le plus souvent le désir sexuel de manière métonymique à travers la texture et la caresse amoureuses avec lesquelles Halim et Youssef pratiquent leur métier. Alors que Youssef traque Halim, il est clair que le mari et la femme s’aiment toujours, même si la passion est absente. Mina, normalement prudente et réservée, commence à avoir des comportements différents : elle commence à faire l’amour au milieu de la nuit, à profiter d’une soirée en ville, et même à se comporter de manière turbulente dans une foule, autant de comportements qui, nous dit-on, ne lui ressemblent pas. Mais Touzani fournira une raison qui explique le manque croissant de retenue de Mina.
Le dernier point de l’intrigue du film se déroule dans leur petite boutique et donne son titre au long métrage. Un grossier client a demandé à Halim de créer la robe éponyme, une magnifique pièce de soie bleu pétrole brodée de délicates garnitures dorées. C’est un travail délicat, et Touzani se délecte de la sensualité de sa fabrication : Halim guide Youssef dans la lente découpe du tissu et la couture délibérée des accents, les mains des deux hommes se touchant et s’entrelaçant délicatement. Qui donc mérite de porter un si beau vêtement ? C’est le genre de question qu’auraient pu poser, il y a un siècle et demi, un Maupassant ou un O. Henry. Sans dévoiler les merveilleuses surprises de Le Bleu du Caftan, il suffit de dire que Touzani tisse avec maestria une création tout aussi délicieuse : Le comportement de Mina, la liaison d’Halim, le désir de Youssef, le vêtement lui-même sont autant de révélations subtiles et riches d’émotions et de significations thématiques. En fait, la dernière d’entre elles, la révélation finale du film, qu’un critique plus avisé aurait pu prédire, m’a réduit en bouillie. Il était clair depuis le début que Touzani et son coscénariste Nabil Ayouch imprégnaient progressivement le caftan lui-même d’une signification très chargée, mais à quelle fin exactement m’avait échappé jusqu’à sa réapparition dans l’avant-dernière scène du film, une scène qui m’a stupéfié par son éclat. Peut-être que des événements proches de ma propre vie m’ont rendu particulièrement sensible à la conclusion du film, peut-être que l’éclat de la révélation finale de Le Bleu du Caftan a simplement opéré sa magie narrative sur moi. Quoi qu’il en soit, le film fait ce qu’un grand cinéma peut faire : créer une empathie entre le spectateur et le personnage.
J’estimerais qu’il s’agit d’un accomplissement suffisant si le film de Touzani osait seulement explorer les relations entre personnes de même sexe dans un contexte où de telles activités sont passibles de trois ans d’emprisonnement. Le Bleu du Caftan fait cela et bien plus encore : à travers ses caractérisations minutieuses, son intrigue élaborée et une conclusion remarquable, le film présente sa propre vision de ce que l’amour signifie vraiment et de qui peut vraiment en jouir. Cette vision est peut-être naïve – ses personnages sont plus indulgents et généreux que la loi du pays qu’ils habitent – mais elle est néanmoins expressément cinématographique et véritablement touchante. Les trois acteurs principaux sont excellents. Dans le rôle du jeune apprenti Youssef, Missioui a le moins à faire des trois, mais il projette l’enthousiasme de la jeunesse, la volonté d’apprendre et une sensibilité qui dépasse son âge. Dans le rôle d’Halim, Bakri est un homme peu bavard, mais ses regards stoïques sont interrompus par le plus léger des sourires qui traduit son amour pour Mina et Youssef. Azabal porte l’essentiel du poids émotionnel du film, alors qu’elle traite avec les clients, évalue la liaison de son mari et fait face à sa propre mortalité.
On pourrait être tenté de penser qu’un film dans lequel un mari s’engage dans une liaison extraconjugale avec un homme plus jeune devrait être lu comme un réquisitoire contre le mariage traditionnel, mais Le Bleu du Caftan est en vérité tout le contraire, un film qui défend et honore les vœux que ses personnages prononcent. En démontrant l’amour et l’engagement qu’un partenaire peut consacrer à son conjoint, le brillant film de Maryam Touzani nous enseigne que nous n’avons qu’une vie à donner à celui ou celle que nous aimons.

Porté par de nobles intentions, Le Bleu du Caftan souffre de ne jamais se libérer du carcan du film à sujet. Halim et Mina sont mariés de longue date et tiennent ensemble un magasin traditionnel de caftans. Avec son nouvel apprenti, Halim se voit confier la réalisation d’une pièce pour une cliente pressée ; entre les deux hommes germe peu à un peu un désir homosexuel, refoulé mais difficilement contenu. S’ensuit l’évident éloge d’un amour libéré, qu’on aurait souhaité plus intensément modulé par la mise en scène. La construction parallèle entre le nouage des ornements du caftan et celui du désir entre les deux hommes fait office de fil conducteur un peu convenu et mal tenu.
Une fois le désir esquissé, le film ressasse les mêmes motifs rebattus : regards entendus, gestes embarrassés, défiance surplombante, le tout servi par des gros plans systématiques. Comme cadenassées par cette mécanique, les relations entre les personnages se figent dans une retenue forcée qui finit par avoir raison d’un quelconque trouble. S’enchaînent prudemment les scènes habituelles de méfiance et de conciliation – les tensions s’apaisant dans une inévitable scène de danse à trois, vectrice d’un équilibre retrouvé. Le dénouement, rappelant que l’important, c’est d’aimer, finit d’étouffer le peu d’ambivalence au cœur de ce triangle amoureux.

L’AVIS DU « MONDE » – À NE PAS MANQUER
Un esprit militant et la grâce d’une fée. Telle pourrait se définir Maryam Touzani, au vu des deux longs-métrages de fiction que compte aujourd’hui sa filmographie. Le premier, Adam, sorti en 2020, nous l’avait déjà révélée ainsi, par le biais d’un film délicat sur la condition féminine au Maroc et l’opprobre jeté sur les jeunes filles qui, hors mariage, se retrouvent enceintes. Son deuxième film, Le Bleu du caftan (sélectionné à Cannes dans la section Un certain regard et couronné du Prix de la critique internationale, en 2022), souligne la même approche, sensible et lente, de la cinéaste vis-à-vis d’un autre sujet complexe : l’homosexualité. Laquelle est considérée, dans le code pénal marocain, comme un crime passible de six mois à trois ans de prison.
Née à Tanger, installée depuis longtemps à Casablanca avec son mari, le cinéaste Nabil Ayouch (Les Chevaux de Dieu, 2013 ; Much Loved, 2015 ; Razzia, 2018, dans lequel elle fut à la fois coscénariste et actrice), Maryam Touzani, 42 ans, a à cœur d’ouvrir les esprits, de faire bouger les mentalités, notamment en ce qui concerne les droits des femmes. Dans son travail d’écriture, d’actrice et de réalisatrice, elle a tenu cet engagement, sans asséner ni parler fort. Œuvrant au contraire avec une infinie pudeur, elle se tient au plus près de l’humain, prenant soin de ne jamais brusquer la parole, respectant les contradictions et les silences de ceux qu’elle écoute. Cela vaut pour ses documentaires comme pour ses fictions, courts et longs-métrages.
Cinéaste de l’intime, Maryam Touzani restreint ainsi le plus souvent son champ d’observation aux quelques mètres carrés d’un foyer, d’une échoppe où se fabriquent des tenues traditionnelles brodées. Dans Adam, ces deux endroits n’en formaient qu’un seul, subordonnant les deux héroïnes à un huis clos qui les obligeait à se rapprocher, se comprendre et renaître. Dans Le Bleu du caftan, la maison et la boutique apparaissent cette fois distinctement, séparées d’une distance que la mise en scène se charge progressivement de rétrécir, opérant ainsi, par la forme, la réconciliation, voire la réunion des deux espaces, privé et social.
Patience d’ange
Le magasin se situe dans la médina de Salé, au Maroc. Il appartient à Halim (Saleh Bakri) et Mina (Lubna Azabal), mariés depuis longtemps, unis dans le respect et une vie sans histoire, dans laquelle chacun tient sa place. Lui, maître artisan (mâalem, en arabe), taille et brode à la main les caftans dans l’arrière-salle. Elle vante avec conviction leur qualité en boutique et n’hésite pas à recadrer la clientèle bourgeoise qui peste contre la lenteur des délais. Pour de telles pièces, il faut en effet savoir attendre. Elles ne se font pas en un jour, contrairement à celles qui sont le plus couramment réalisées à la machine. Il suffit de regarder la main de l’homme s’attarder, peser, caresser le tissu, broder et mesurer, à chaque point, la symétrie des motifs, pour se convaincre de la méticulosité qu’exige le métier.
Ces gestes sur lesquels s’ouvre le film ancrent dans la tradition un récit que rien ne semble pouvoir dévier de sa routine, pas même l’intrusion de ce nouveau personnage qui se présente, un beau matin, à l’atelier. Le jeune homme se prénomme Youssef (Ayoub Missioui), il est apprenti et vient proposer son aide à Halim. Lequel accepte de le tester, sous le regard de Mina, dont l’attention suffit à suggérer l’idée du danger. Mina se tient à l’affût, veillant comme une mère à la tranquillité de son mari et à la belle complicité qu’elle a construite avec lui. Elle a accepté, sans être dupe, ses escapades régulières au hammam et ne s’est jamais plainte, au creux du lit conjugal, de ses étreintes rares et rapides. Halim aime les hommes. L’arrivée de Youssef menace l’équilibre du couple, autant dire l’édifice de plusieurs siècles d’histoire.
Dire ce qui suit reviendrait à faire offense au travail de Maryam Touzani, dont la minutie – à l’égal de celle du mâalem – relève d’une patience d’ange. Une patience mise au service de la lenteur, des détails, des non-dits, qui privilégie les silences et les glissements subtils, qui laisse aux émotions le temps d’éclore et de rebattre les cartes. Dans Le Bleu du caftan, la lumière agit comme un révélateur, les espaces vides ouvrent un champ qu’il revient au spectateur d’occuper, les points de suspension se dissipent à mesure qu’évoluent les personnages. Soumis à un changement de partition, le duo se changera en trio, avant de se redéfinir encore autrement. Mina, cette fois en cheffe d’orchestre, aidant chacun à mener sa propre ligne mélodique.
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Après Adam (2020), un premier long métrage déjà impressionnant par sa maîtrise et sa pudeur, Maryam Touzani nous revient avec Le Bleu du Caftan œuvre saisissante et bouleversante, rare expérience cinématographique dont il est difficile de sortir indemne.
La force du film repose en grande partie sur la construction de personnages riches et denses dont la complexité se révèle par petites touches.
Celui de Mina, épouse de Halim, qui nous apparaît d’abord sèche et autoritaire. Il est essentiel de souligner ici l’impressionnante interprétation de Lubna Azabal tout en justesse et en retenue qui semble (comme son personnage qui porte l’atelier de couture de caftans) porter physiquement et symboliquement le film. Comme une courroi de transmission, elle est à la fois, celle qui aide à transmettre ce métier artisanal en perdition et celle qui permet et autorise l’éclosion de l’amour. Le film semble ainsi épouser le point de vue de Mina qui nous apparaît, au départ, comme une observatrice guettant l’histoire d’amour naissante entre les deux hommes.
Copyright Les Films du Nouveau Monde/Ali n Productions/Velvet Films/Snowglobe
L’autre tour de force du film est d’allier la pudeur à l’incarnation réelle et physique des personnages et des relations d’interdépendances qui se tissent entre eux. La cinéaste n’hésite pas à filmer les corps dans tous leurs états, du corps assoiffé d’amour au corps meurtri et amoindri par la maladie, autorisant ainsi une identification réelle à leur cheminement : tel ce point de bascule dans le récit où Mina, femme de poigne, se révèle être aussi rebelle que transgressive. Elle ose, accompagnée de son mari, une intrusion, dans un café, territoire masculin par excellence.
Cheveux lâchés, Mina entame sa mue.
Copyright Les Films du Nouveau Monde/Ali n Productions/Velvet Films/Snowglobe
Toute la mélancolie et la détresse de Halim (magnifique Saleh Bakri) transparaît alors dans ce plan où il avance seul dans la ville, le regard soucieux et hagard. La lourdeur et la fatalité du poids qui l’habite se révèle dans la lenteur du rythme et dans la force des silences. Le couple Mina/ Halim fonctionne comme un vase communiquant. La culpabilité de l’un semble ronger la peau de l’autre et l’amour demeure interdit : scène bouleversante où Halim, avec son regard vert eau empli d’humanité, se refuse à Youssef et verse les larmes de l’impossible amour.
Copyright Les Films du Nouveau Monde/Ali n Productions/Velvet Films/Snowglobe
Plus qu’un film sur les amours illicites en terre maghrébine, Le Bleu du Caftan déploie toute sa puissance et se révèle être une vraie leçon d’Apprentissage de l’Amour : aimer c’est aussi accepter de laisser partir l’être adoré et chéri. Par douceur impressionniste, la caméra saisit avec une rare délicatesse la volupté des tissus, manière subtile de révéler autant l’amour naissant que l’interdit qui l’habite.Mais à l’heure où Mina s’autorise à lâcher prise, le trio trouve une douce harmonie, ouvrant une brèche et forçant subrepticement les verrous des barrières autant psychologiques que sociales.
Et c’est ainsi que, devant l’ultimatum de notre finitude, les cœurs et les corps opèrent une éclosion, bouleversant sur leur passage tous les interdits.
Fiche technique
Le bleu du caftan
Le Bleu du Caftan
France, Maroc, Belgique, Danemark 2022
Réalisation : Maryam Touzani
Scénario : Maryam Touzani, Nabil Ayouch
Image : Virginie Surdej
Montage : Nicolas Rumpl
Interprétation : Lubna Azabal (Mina), Saleh Bakri (Halim), Ayoub Missioui (Youssef)...
Distributeur : Ad Vitam
Durée : 2h02
La réalisatrice

MARYAM TOUZANI
Elle est née en 1980 à Tanger où elle passe sa jeunesse. Elle est dans un premier temps journaliste, spécialisée dans le cinéma, après des études à Londres1. Puis elle devient scénariste et réalisatrice de courts-métrages et de documentaires.
En 2011, son court-métrage Quand ils dorment, est sa première réalisation cinématographique. En 2014, elle filme un documentaire, Sous Ma Vieille Peau consacré à la prostitution au Maroc. En 2015 elle participe au scénario du film Much Loved réalisé par Nabil Ayouch, traitant lui aussi de la prostitution au Maroc, film qui fut interdit dans les salles par les autorités du pays.
Elle réalise ensuite son second court-métrage en 2015, Aya va à la plage, sur le thème de l’exploitation des jeunes enfants comme domestiques.
Elle est pour la première fois une actrice dans le film Razzia, sorti en 2017, qu’elle co-écrit avec le réalisateur Nabil Ayouch, son époux, et dans lequel elle interprète Salima, l’un des rôles principaux.
En 2019, elle réalise son premier long-métrage Adam. Ce dernier est sélectionné pour le festival de Cannes, dans la section Un certain regard, remporte plus d'une vingtaine de prix dans le monde, et fait de Maryam Touzani la première femme marocaine à concourir à la course aux Oscars en 2020.
Sélectionné au Festival de Cannes 2022 dans la section Un certain regard, Le Bleu du caftan (2022), film qui raconte l'existence difficile d'un homme marié et homosexuel dans une société marocaine répressive, remporte le prix FIPRESCI.
Filmographie
Réalisatrice et scénariste
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2011 : Quand ils dorment (court-métrage fiction 17')
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2014 : Sous ma vieille peau (Documentaire)
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2015 : Much Loved (Scénariste, long métrage fiction)
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2015 : Aya va à la plage (court-métrage fiction)
Les interviews
La réalisatrice marocaine Maryam Touzani poursuit son engagement pour les droits et les libertés à travers son nouveau film, "Le Bleu du Caftan".
L'interwview de son précédent film ADAM