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Empire of light                                                     Jeudi 30 Mars 20h30
                                                                         

Synopsis et détails

La force des rapports humains qui se nouent en des temps difficiles est au cœur de EMPIRE OF LIGHT. Hilary (Olivia Colman) est responsable d’un cinéma et tente de préserver sa santé mentale fragile. Stephen (Micheal Ward) est un nouvel employé qui n’aspire qu’à quitter cette petite ville de province où chaque jour peut vite se transformer en épreuve. En se rapprochant l’un de l’autre, ils vont apprendre à soigner leurs blessures grâce à la musique, au cinéma et au sentiment d’appartenance à un groupe

Bande Annonce

Avec Empire of light, Sam Mendes livre son film le plus personnel – le seul dont il a écrit entièrement le scénario. En s'inspirant en partie de sa propre mère, il replonge dans les souvenirs de son adolescence. Par sa somptueuse photographie et l'élégance de sa mise en scène, il signe une splendide lettre d'amour au cinéma – l'art comme le lieu. Il célèbre également d'autres formes artistiques, la musique et la poésie, ainsi que tous ces liens qui nous unissent et nous permettent de surmonter les épreuves de la vie. Empire of light est un mélodrame à l'atmosphère envoûtante, magnifié par une bande-son mélangeant les compositions des géniaux Trent Reznor et Atticus Ross aux tubes de l'époque. Le film doit également beaucoup à la prestation bouleversante d'Olivia Colman, tour à tour atone et lumineuse. Car c'est bien de lumière dont il s'agit : ce faisceau fragile qui troue l'obscurité, réchauffe le cœur, ouvre l'esprit et offre un refuge face aux maux de l'existence...

Critiques

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L’Empire, un cinéma décrépit du bord de mer dans l’Angleterre de Thatcher, siège des souvenirs adolescents de Sam Mendes. Délicat et émouvant.

Insoupçonnée vertu des confinements : le temps retrouvé pour penser à soi, aux siens, au présent et à l’imparfait. Moments de pause et d’introspection que certains cinéastes, d’ordinaire happés par un engrenage hollywoodien soudain grippé, mirent à profit pour dévoiler des bribes de leur intimité jusque-là farouchement tenue secrète. Après l’autobiographique The Fabelmans, de Steven Spielberg, Sam Mendes signe ainsi son premier scénario original, et originel. Lui qui avait déjà osé révéler les traumas enfantins de James Bond dans Skyfall ravive ici ses propres souvenirs d’adolescent dans un film éminemment proustien sur les vestiges des jours et le pouvoir consolateur du septième art.

Le vrai héros d’Empire of Light est une salle de cinéma. Un paquebot Art déco en brique majestueusement décrépit et ancré face à la mer du Nord, sur la promenade de Margate, station balnéaire au nord de Douvres prisée par le peintre Turner pour l’éblouissante blafardise de son ciel. D’infinies nuances de gris que Roger Deakins, le chef opérateur attitré de Mendes (et des frères Coen) sait lui aussi sublimer. En cette année 1980, six personnes, six solitudes, ont trouvé refuge à l’Empire, temple du divertissement déjà en sursis. Sur cette famille recomposée veille un patron paternaliste, qui entretient une liaison abusive avec Hilary (prodigieuse Olivia Colman), sa plus dévouée et consciencieuse employée, vieille fille borderline tellement éteinte qu’elle se contente parfois de la maigre chaleur de ces étreintes non consenties.

L’arrivée d’un nouveau factotum dans cette équipe soudée par le cafard vient apporter un soupçon de gaieté… et de couleur. Il s’appelle Stephen, la vingtaine, beau comme un dieu. Il est Noir. Ce qui est loin d’être un détail dans l’Angleterre sinistrée par le chômage, le racisme et la rigueur de Margaret Thatcher. Entre Stephen et Hilary, une idylle naît, d’une délicate évidence. Même s’il a l’âge de la fuite et elle, celui du déjà-vu, comme dans une chanson d’Anne Sylvestre. Déraison et sentiments. Ils se retrouvent pour faire l’amour dans la partie désaffectée du cinéma, une immense salle de bal envahie de pigeons et de poussière où trône toujours un piano à queue réduit au silence, fantôme d’un lustre perdu que le réalisateur convoque sans nostalgie.

Il sera paradoxalement très peu question de cinéphilie dans ce film qui sacralise la salle, mais pas les auteurs. Hormis le vieux projectionniste dont la cabine est tapissée de photos de stars, les employés parlent plus volontiers du dernier vinyle des Specials et autres pépites punk du label 2 Tone Records que des films à l’affiche, dont on aperçoit furtivement les titres sur la devanture de néon (Raging Bull, Les Chariots de feu, The Blues Brothers…) sans que jamais la caméra ne s’immisce à l’intérieur de la salle pendant la projection. À une bouleversante exception près. Le cœur à marée basse, une fois de plus, Hilary décide de s’abandonner, enfin, aux sortilèges du grand écran. Ivresse immédiate. L’empire de la lumière n’a pas de frontières.

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Une silhouette se faufile dans un bâtiment. L’une après l’autre, les lumières s’allument. La moquette orange à motifs géométriques, la caisse centrale avec ses friandises, les escaliers, les rouges et les ors de la salle au lourd rideau de velours. C’est un cocon, un écrin, un empire ! Le cinéma de style Art déco situé en bord de digue dans la ville balnéaire  de Margate du début des années 1980 est tout cela à la fois. Vieillot et sans âge, magnifique et déjà passé de mode. S’y agitent, avant l’arrivée des spectateurs, un aréopage d’employés qui se connaissent tous, rigolent à la pause.

Au milieu d’eux, mais un peu à la marge, il y a Hilary, la femme qui a éclairé le cinéma dont elle est la gérante, mais qui, lors d’une visite à son médecin que l’on sent régulière, se dit « éteinte ». Hilary a fait une dépression, dont on ignore la raison ; elle vit seule et semble à jamais enterrée vive, sans espoir de lumière. Son patron, Monsieur Ellis, homme marié et autoritaire, l’utilise comme un objet sexuel dans le secret de son bureau, où il la convoque à tout bout de champ. Hilary est magnifique et désolée, à l’image de cet étage de l’Empire, avec ses deux salles et son bar élégant condamnés faute de clientèle et désormais dévolus aux pigeons.

L’arrivée d’un nouvel employé, Stephen, jeune Noir adepte du ska, va lui ouvrir un nouveau monde. Ensemble, la femme mûre fragile et son cadet enthousiaste, mais constamment arrêté dans son élan par des attaques racistes, vont trouver un équilibre et tisser un lien à l’abri du regard des autres. Lors d’escapades à la mer ou à l’étage désaffecté du cinéma. Il faudra quelques drames et prises de conscience (que nous ne révélerons pas ici) pour que ces deux-là osent se libérer de ce qui les entrave et prennent leur envol.

Dans une lumière bleutée à l’extérieur, mordorée à l’intérieur, le chef-opérateur Roger Deakins, complice de Sam Mendes depuis Jarhead (2005) enveloppe ses cadres en Scope d’ambiances feutrées, qui révèlent autant les lieux que les êtres. Basé sur le premier scénario écrit par le réalisateur d’American Beauty, Les Noces rebelles, Skyfall et 1917, Empire of Light est son film le plus beau et le plus personnel. Beau parce que personnel, en hommage à sa mère et aux films qui l’ont nourri, lui, adolescent (The Blues Brothers, All That Jazz, Raging Bull, Les Chariots de feu, Bienvenue Mister Chance). Il est épaulé par un casting hors pair, Olivia Colman et Micheal Ward, mais aussi Tom Brook ou Toby Jones : c’est peu dire qu’ils crèvent l’écran. Ils nous transpercent le cœur.

Amour des personnages, tendresse pour une époque révolue, fascination pour la salle de cinéma, temple et refuge destiné « à ceux qui ont besoin de s’évader, à ceux qui n’ont nulle part où aller », comme le dit le projectionniste, Empire of Light est aussi une ode aux laissés-pour-compte dans l’Angleterre de Thatcher. Où la vie s’échappe, où la pauvreté se cherche des boucs émissaires. Mais où le lien entre les êtres reste sacré. Et où le cinéma – la salle et les films – agit comme un baume avec son faisceau lumineux ouvrant tout grand nos yeux.

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Hilary, l’héroïne du film Empire of Light (L’empire de la lumière), gère un cinéma sis au bord de la mer, dans une ville balnéaire. Pourtant manifeste, la vétusté ambiante n’a pas encore tout à fait dissipé le charme suranné du vieil établissement Art déco. De la même manière, un diagnostic de trouble bipolaire et une situation amoureuse frustrante n’ont pas complètement désenchanté Hilary. À preuve, lorsque Stephen, un nouvel employé jeune et beau comme tout, s’intéresse à elle, la voici qui recouvre désir et joie de vivre. Hélas, en 1981, dans l’Angleterre de Thatcher, une relation amoureuse entre une Blanche quadragénaire et un Noir vingtenaire, ça ne passe guère.

Premier film écrit en solo par le distingué cinéaste Sam Mendes, l’homme derrière notamment American Beauty (Beauté américaine ; Oscar du meilleur réalisateur), Road to Perdition (La voie de la perdition), Skyfall et 1917, Empire of Light vaut d’abord le détour pour la performance électrisante d’Olivia Colman. Elle qui nous a déjà épatés à répétition, la lauréate d’un Oscar pour The Favorite (La favorite), nommée ensuite pour The Lost Daughter (La poupée volée) et The Father (Le père), se surpasse.

En effet, outre le fait qu’elle dépeint le trouble bipolaire avec une justesse et une acuité infinies, Olivia Colman offre une composition tout à la fois lumineuse et crève-coeur.

Inspirée en partie par la mère du réalisateur, Hilary est un personnage de complexité et de paradoxes. Par exemple, bien qu’elle passe la moitié de son existence dans un cinéma, Hilary confie ne jamais regarder de films (on se doute qu’elle se ravisera).

Une forme au diapason

Dans sa dimension formelle, le film est d’ailleurs au diapason d’Hilary, que l’on rencontre initialement éteinte à cause du lithium qu’elle doit désormais prendre. Même parmi ses collègues ou auprès de son patron marié avec qui elle couche de temps à autre par dépit, Hilary paraît seule… En toile de fond, c’est la morte-saison, grise et froide, dans la ville désertée par les touristes. À la direction photo, le maître Roger Deakins (1917, Oscar pour Blade Runner 2049) multiplie par conséquent les nuances blafardes en isolant volontiers la protagoniste dans le cadre.

L’arrivée de Stephen, son jeune contraire prompt à l’émerveillement, sortira Hilary d’une torpeur aussi physique que psychologique. Du moins, pour un temps, un racisme décomplexé sévissant dans les rues. Et la palette de Roger Deakins de se raviver également, elle aussi, pour un temps.

Toujours sur le front visuel, la réalisation de Sam Mendes est typiquement soignée ; peut-être plus intime que ses dernières productions à grand déploiement. Normal, compte tenu de la nature personnelle de ce projet-ci.

À cet égard, Empire of Light se veut plusieurs choses à la fois. Une lettre d’amour du cinéaste à sa mère, qu'il nous confiait en entrevue avoir vue son enfance durant « lutter héroïquement contre la bipolarité » tout en l’élevant… Un rappel que la haine et la violence d’hier, qui ont marqué le cinéaste adolescent, tentent un retour aujourd’hui… Une ode à la magie du 7e art… Vaste programme, peut-être trop, aussi sincère que soit la démarche.

Lors de la projection au TIFF, Sam Mendes expliquait : « Nous vivons à une époque extrêmement cynique, et ce film n’est absolument pas cynique. »

Il n’empêche, si ces différentes parties sont individuellement porteuses, leur somme manque par moments de cohésion. Dans ce contexte chargé, l’histoire d’amour, pourtant centrale, en pâtit un brin.

Heureusement, les interprètes sont là pour rattraper le coup. Face à Olivia Colman, Michael Ward, qui était déjà brillant dans Lovers Rock, l’un des volets de la formidable pentalogie Small Axe, de Steve McQueen, est fabuleux d’aisance et de charisme.

Les vétérans Toby Jones, en projectionniste observateur, et Colin Firth, en patron salaud et pathétique, ne sont pas en reste.

 

À terme, Empire of Light n’est pas le grand film espéré, mais c’en est un bon, parfois un très bon. Cela, et au risque d’insister, beaucoup grâce à sa star. Oui, la magie du cinéma existe, et en l’occurrence, c’est Olivia Colman qui tient la baguette.

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L'EMPIRE DU VIDE

  par Fabrice Fuentes

Aux antipodes des déflagrations pyrotechniques de 1917 et de sa surenchère immersive, Empire of Light marque un pas de côté dans la filmographie de Sam Mendes. Un écart qui se veut surtout une mise à distance, non seulement vis-à-vis du cinéma d’action bruyant de ses trois précédents films mais aussi, plus largement, de la machinerie lourde et impersonnelle du blockbuster hollywoodien (pour la première fois, Mendes a écrit seul un scénario inspiré de ses souvenirs d’enfance). L’auteur des Noces Rebelles renoue avec une veine intimiste, en imaginant un drame plus classique que clinquant. C’est comme si après nous en avoir mis plein les yeux, il lui fallait laver les siens, viser le minimum pour toucher à l’essentiel. Et revenir là où tout a commencé, précisément au cinéma, ce lieu volontiers fantasmé qui constitue la toile de fond, sinon le sujet affiché d’Empire of Light.

Situé dans une petite ville balnéaire de l’Angleterre thatchérienne, ledit cinéma éponyme est géré par Hilary (Olivia Colman) qui, lorsqu’elle ne soigne pas sa dépression à coups de lithium ou ne consent à des relations sexuelles aussi expéditives que dégradantes avec son patron (Colin Firth), s’emploie à faire bonne figure auprès de son personnel attentionné. Du moins jusqu’à ce que le nouveau venu Stephen (Michael Ward), un jeune homme d’origine antillaise, affable et éclairé, lui redonne goût à la vie. Un élan romantique salvateur qui décidera Hilary à faire in fine ce à quoi elle se refusait depuis tant d’années : voir un film – pour enfin exister. Sous le feu du projecteur, face à l’écran – et à la caméra de Mendes –, Being There de Hal Ashby l’émeut alors aux larmes. On aurait aimé qu’il en soit de même pour nous, que l’émotion palpable du personnage irradie et déborde le plan. Le problème, c’est que l’on discerne surtout dans ce plan le volontarisme du cinéaste. À la gestuelle mécanique du projectionniste joué par Toby Jones (l’ouverture des rideaux, le changement de bobines, les poussoirs à tourner, les regards récurrents et bienveillants dirigés vers la salle) répond celle du pathos (les photos-souvenirs dans la cabine de projection, les plans de plus en plus rapprochés sur Hilary levant la tête, la musique au piano idoine de Trent Reznor). Si Mendes a bel et bien déposé les armes, il n’en garde pas moins la main lourde.

Tout le film tend vers cette scène à faire, sorte d’acmé émotionnelle tellement soucieuse d’emporter le morceau qu’elle finit par l’enrober d’un sentimentalisme scolaire. Inspiré de la propre mère de Mendes, le personnage d’Hilary doit beaucoup à l’interprétation pourtant prévisible d’Olivia Colman, qui reprend peu ou prou le rôle de la femme mûre dépressive qu’elle tenait déjà dans The Lost Daughter. Le jeu de l’actrice, passée maître dans l’art du non-dit, ne se dépare toutefois pas de la finesse et de la retenue lui évitant, à tout le moins jusqu’à présent, l’écueil du mutisme bavard ou de la pose caricaturale. Sans s’en remettre aux facilités de la performance, son visage, et ce qu’il laisse transparaître de la bipolarité du personnage, constitue la principale attraction d’Empire of Light. À l’échelle du film, c’est assez peu, mais on saura s’en contenter et accorder au moins à Mendes le talent de savoir filmer les visages. Lors de la scène de projection évoquée ci-dessus, celui d’Hilary se substitue à l’écran, surmontant autant sa douleur que son bonheur, mélange digne de fêlure et d’extase. Il est alors le cinéma à lui seul.

Cinéma sans magie

Hilary se nomme Small : on pourra trouver cette manière de caractériser d’emblée le personnage peu subtile, même si sa libération finale vise à trahir ce patronyme. Délivrée au contact des images d’Ashby, voire élevée (Mendes la filme en contre-plongée), le film projeté aura pour elle fait office de révélation. À la balourdise désarmante du propos et de son illustration appuyée se conjugue l’idée tout aussi banale consistant à faire du cinéma (comme lieu) un temple du cinéma (comme art). Sorte de palace Art déco, le fictif Empire of Light appartient à une époque révolue et le soin que met Mendes à filmer ce décor décati au début du film en dit long sur sa façon d’appréhender l’idée de reconstitution et de classicisme distingué. Hilary, chargée chaque jour d’ouvrir l’établissement, se prête à son rituel habituel ; au spectateur de l’accompagner comme s’il visitait un musée, se promenant de pièce en pièce, de découverte en découverte. Grandes baies vitrées donnant sur l’océan, escalier majestueux avec tapis, moquette géométrique, grands rideaux rouges ornant l’écran, pop-corn à foison : l’ambiance est ouatée, les textures veloutées, le tout chic et déjà empli d’un spleen indélébile magnifié par la photo de Roger Deakins. Si les fantômes ne traînent pas encore dans les couloirs, nul doute qu’ils tapent déjà à la porte. Mendes choisira malheureusement de les y laisser, trop soucieux de préserver son paradis tel quel et de maintenir son récit sur les rails d’une nostalgie ronflante. À vouloir trop enfermer la fameuse « magie du cinéma » dans un bocal, Mendes produit un cinéma sans magie – une vision d’auteur sans vision. Son film a certes de la tenue (il veut bien faire), mais la noblesse présumée du propos balise son programme fictionnel, aussi verrouillé que la porte d’un sanctuaire à protéger. Le cinéaste parvient même à plonger son élégie dans la léthargie, tout occupé à ordonner soigneusement ses plans comme on range de précieux bibelots sur une étagère poussiéreuse.

Qu’en est-il du monde extérieur dans Empire of Light ? Une plage, une promenade en front de mer, un dancing pour seniors, un bus de nuit, quelques rues… trois fois rien. Lorsque des skinheads font irruption dans le hall du cinéma et tabassent Stephen, vient l’espoir que se passe enfin quelque chose. Las, la scène parvient tout juste à générer une tension dramatique et se dégonfle aussitôt pour réduire ses enjeux raciaux à une simple péripétie de scénario. Pas de quoi venir perturber l’hommage chloroformé au cinéma auquel s’attelle le film, guère plus attaché aux remous sociaux qu’à l’histoire d’amour entre le jeune homme noir et Hilary. Leur romance, peinte en demi-teinte, sans véritable ambition de lui donner chair, semble tout aussi pétrifiée dans le conformisme que le regard porté sur le cinéma. On comprend aisément pourquoi Hilary tombe sous le charme de Stephen (sa fraîcheur, son intelligence, sa différence), beaucoup moins pourquoi Mendes n’exploite pas pleinement le potentiel mélodramatique qu’une telle histoire pouvait renfermer. À l’instar de son héroïne regardant la neige tomber derrière une vitre, on s’émeut de loin devant Empire of Light, finalement pas si éloigné du précédent 1917 : les images élaborées ont beau défiler sans interruption sous nos yeux, il n’y a pas grand-chose à voir.

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Après deux volets de James Bond (Skyfall et Spectre) et un film de guerre en plan-séquence (1917), Sam Mendes revient à une sphère plus intimiste avec Empire of light, dont il place l’intrigue sur ses terres natales. Le cinéaste retrouve ses collaborateurs de longue date, dont le directeur de la photographie Roger Deakins (avec qui il collabore pour la cinquième fois), le chef décorateur Mark Tildesley et la créatrice de costumes Alexandra Byrne, mais aussi le superviseur musical Randall Poster et les compositeurs Trent Reznor et Atticus Ross, qui signent la bande-originale du film.

La séquence d’exposition nous présente Hilary dans sa routine du matin. Première arrivée, la quinquagénaire redonne vie au cinéma qu’elle gère dans cette ville de bord de mer britannique. De l’éclairage au chauffage, en passant par une inspection des lieux, l’employée se montre consciencieuse avant de lever le rideau pour accueillir les premiers clients. C’est elle qui fait tourner la boutique, bien qu’elle ne soit pas propriétaire de l’établissement. Quand une nouvelle recrue est engagée, elle se charge de le briefer et de lui présenter les lieux, lui distillant quelques consignes fonctionnelles de rigueur. Le jeune homme, Stephen, fait preuve d’une véritable curiosité pour l’édifice, dont on sent bien qu’il n’a plus sa splendeur d’antan, allant même jusqu’à vouloir découvrir l’étage supérieur, désormais laissé à l’abandon par manque de fréquentation.

Son arrivée dans le staff va redonner vie à un quotidien morose pour Hilary, qui est désormais sous traitement suite à une dépression sévère quelques mois auparavant. Solitaire, elle cède parfois aux avances d’un patron médiocre qui abuse de sa faiblesse. Pourtant, ses échanges avec Stephen, qui se montre sincère dans l’intérêt qu’il lui accorde, vont faire renaître en elle une certaine spontanéité et lui redonner foi en elle-même, réanimer son amour propre. Le début d’un nouveau chapitre exaltant ?

 

Car le jovial Stephen la regarde d’un oeil nouveau, curieux et bienveillant, devenant l’étincelle pour rallumer la flamme de vie qui sommeillait en Hilary depuis trop longtemps. De sa vie sous lithium, où elle se contentait d’un emploi du temps routinier sans véritables écarts, elle va redécouvrir les petits plaisirs et ouvrir progressivement son coeur. À la faveur d’un feu d’artifices du nouvel an, de soins prodigués à un pigeon blessé et de quelques confidences partagées, le rapprochement s’opère. Hilary semble retrouver un certain élan dans son quotidien à l’Empire Cinema, et s’offre même une virée à la mer en sa compagnie. Mais en dehors des beaux murs de l’enceinte, la maladie mentale d’Hilary tend à se manifester à nouveau et cette escapade laisse apparaître ses blessures du passé et sa maladie, qui n’était qu’endormie. Elle se bat contre son propre esprit troublé pour trouver un moyen de se (re)connecter, tandis que Stephen, de son côté, tente de trouver sa voie. Rejeté par le milieu universitaire, il se trouve à la croisée des chemins et s’efforce de s’accomplir en dépit de ce qui lui semble interdit. La politique raciale de Margaret Thatcher, le racisme d’Enoch Powell et du Front national britannique, les émeutes de Brixton et de Toxteth sont autant de références historiques employées par Mendes pour tisser en toile de fond un contexte social troublé, hors de la bulle intemporelle que semble être le cinéma où ils travaillent.

Empire of light déroule une narration classique qui parvient à nous emporter délicatement dans son double récit de renaissance, où brillent Olivia Colman et Micheal Ward. Sam Mendes rend hommage à ces liens qui nous unissent – la musique, les films et ces familles de cœur que l’on se recompose – et qui nous permettent de surmonter les épreuves. Enfin, son mélodrame d’une grande élégance nous laisse le cœur au bord des yeux dans son final de toute beauté. Ce dernier segment, qui ne manquera pas de faire battre les coeurs des amoureux du septième art, s’impose comme une nouvelle et magnifique déclaration d’amour au Cinéma, l’art et le lieu, et à ses vertus cathartiques et réparatrices. Le cinéma, comme refuge face aux maux de l’existence et de la société. Un faisceau de lumière qui brille dans l’obscurité, reflétant du monde et pansant les âmes tourmentées.

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Prenant place en 1980, Empire of Light nous invite à Margate, petite ville balnéaire au sud de l’Angleterre. Nous découvrons Hilary Small (Olivia Colman), une quadragénaire dépressive atteinte de troubles bipolaires, et manageuse au sein de l’Empire Cinema. Au même moment, le récit introduit Stephen (Michael Ward), un jeune homme aspirant à devenir architecte et qui va débuter un premier job au sein de l’Empire. Une romance improbable va ainsi se créer entre ces deux personnages, avec comme finalité un apprentissage émotionnel pour chacun.

La capsule temporelle de Sam Mendes

Avec Empire of Light, Sam Mendes s’attelle lui-même au scénario afin de conter une histoire « à la Roma« , à savoir un récit purement fictionnel avec un fond semi-autobiographique. Ce dernier versant se traduit par le personnage d’Hilary, calqué sur la mère du réalisateur et qui fut atteinte de troubles psychiatriques. La seconde composante vient du décor principal du film, à savoir cet imposant cinéma d’époque en bord de mer, que le jeune Sam fréquentait ardemment. Enfin, le personnage de Stephen est la matérialisation des anxiétés du cinéaste vis-à-vis des bouleversements politiques du début des 80’s, avec par ailleurs l’avènement des émeutes racistes ou la politique de Thatcher.

Un triumvirat thématique donc, avec comme finalité une déclaration d’amour au 7e Art et en sa capacité d’échappatoire vers un territoire de tous les possibles. Et c’est dans cet aspect que Empire of Light déçoit fondamentalement (à contrario d’un Cinema Paradiso ou plus récemment d’un The Fabelmans), la faute à un caractère artificiel (« le cinéma c’est la vie et ça efface tous les problèmes ok ? ») et finalement trop peu traité.

© Searchlight Pictures

Mendes filme le cuir de la salle, et surtout l’envers du décor (la loge du projectionniste, le hall ou le kiosque) avec un amour certain, mais tout cette dimension demeure parfois survolée et secondaire pour pleinement convaincre. De plus, cet élément parait assez peu écrit vis-à-vis des autres thématiques, heureusement traitées avec une dose d’humanité certaine.

Empire of Light : à la recherche du bonheur

En effet, mis à part l’amour du cinéma, Empire of Light est avant tout l’histoire d’un (re)connexion entre deux êtres que tout oppose, et qui pourtant vont se rapprocher au sein de cet édifice à rêves. Et à ce titre, on pourra noter ce caractère rafraichissant d’avoir une romance allant à l’encontre des codes pré-établis (à savoir une femme mûre amoureuse d’un jeune homme), renforçant son caractère unique et finalement authentique.

Passé cet aspect, l’alchimie entre Olivia Colman (qui illumine l’écran comme dans La Favorite ou The Crown) et Michael Ward (révélation emplie de charisme vue précédemment chez Steve McQueen) porte l’entièreté du film à elle seule. Dommage de ne pas avoir mieux creuser les motivations de ce dernier (son amour de l’architecture étant évoqué puis complètement éludé, tandis que son environnement familial semble lui aussi survolé), à croire que Mendes a avant tout voulu le faire fonctionner au service du personnage d’Hilary.

Une complicité certaine demeure heureusement, alliée à un acting saisissant et tout en nuances, pour des personnages que l’on suit avec plaisir. Le reste du cast est bon (avec de petits rôles pour Colin Firth ou bien Toby Jones), mais on aurait aimé que Mendes s’intéresse un peu plus à eux, afin de mieux supporter l’arc narratif des deux protagonistes.

Sans pathos ni violon, Empire of Light amène également un regard empli de tendresse et de compassion sur les fêlures humaines et la maladie mentale (là encore cristallisées par une superbe performance d’Olivia Colman, qui reste au centre du récit), ainsi que sur le besoin d’abroger toute honte qui puisse en découler.

Du cinéma raffiné malgré les faiblesses

Et si le script a des zones de faiblesse (on pourra regretter que le réalisateur n’a rien de plus à dire sur les contestations nationalistes), Empire of Light ne déçoit pas en terme de fabrication ! Outre une mise en scène élégante, le film nous abreuve de cadres léchés, sublimés par la photographie du grand Roger Deakins (Blade Runner 2049). Le tout transpire donc le cinéma classieux à chaque instant, et difficile d’enlever de notre rétine l’image imprimée d’un superbe panorama nocturne sur les feux d’artifice du Nouvel An ou encore la nature prenant le pas lors d’un climax touchant.

Et si cela ne suffisait pas, le magnifique duo Trent Reznor & Atticus Ross (The Social NetworkSoulBones and All) nous gratifie d’une magnifique bande-originale où piano et synthés se conjuguent en une nappe sonore au profil aérien. Bref, visuellement et musicalement, Empire of Light apporte son « A game » pour épouser à merveille son talentueux casting. Dommage que l’écriture tire un tantinet le film vers le bas, malgré des qualités narratives indéniables !

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On savait Mendes très mauvais – malgré sa bonne réputation usurpée – mais avec Empire of Light, il bat tous les records d’insignifiance et d’incompétence. Un navet exemplaire.

Il faudra bien un jour que quelqu’un ait le courage d’écrire que, contrairement à ce que pense un grand public aisément séduit par une forme ultra-léchée, comme dans le redoutable et déjà assez pitoyable 1917, Sam Mendes est un réalisateur négligeable, voire même mauvais (allez, on sauvera les Noces Rebelles, porté par deux interprètes exceptionnels et entre lesquels l’alchimie était telle que l’échec était impossible…). Peut-être que ce sera la catastrophe industrielle de cet Empire of Light littéralement consternant qui permettra de mieux juger de l’un des réalisateurs les plus surévalués de sa génération.

Mais que nous raconte Empire or Light ? On a envie de répondre « rien » tant on sort du film consterné par sa vacuité. On peut aussi dire « trop de choses », tant les sujets, abandonnés aussitôt qu’effleurés, abondent. Pour simplifier, le scénario de Mendes décrit l’existence d’une équipe gérant un cinéma qui a été prestigieux mais est sérieusement décati, l’Empire, situé dans une de ces villes « touristiques » déprimantes de la côte anglaise, où s’affrontaient dans les années 60 et 70 mods et skinheads, et sur lesquelles Morrissey a un jour appelé une pluie d’ogives nucléaires. On est en 1981, sous le règne de Thatcher, au moment où le National Front prend de l’importance, et où la résistance des jeunes s’organisera – au moins à Londres – autour des mouvements punk et ska. Empire of Light se concentre sur deux personnes : Hilary, la petite cinquantaine, une femme bien abimée par la vie qui est la gérante opérationnelle de l’Empire, et Stephen, jeune homme de couleur brillant et sexy, qui vient de rejoindre l’équipe. Une histoire d’amour va naître entre eux, avec des conséquences – ou pas, en fait – dans le contexte délétère de l’époque.

Evacuons tout d’abord la performance – comme toujours remarquable – d’Olivia Colman, sans aucun doute l’une des toutes meilleures actrices de notre époque : elle sait être tour à tour touchante, drôle, effrayante, en en faisant toujours le strict minimum nécessaire. Elle serait géniale même en lisant une table des horaires de circulation des métros londoniens, aucun doute là-dessus. Le problème est que le script de Mendes – qui a écrit à lui tout seul le – hum – scénario du film -, est encore moins passionnant qu’une table des horaires de circulation des métros londoniens ! Ce qui fait que la plupart du temps, on se demandera pourquoi les protagonistes font et disent les choses qu’ils font et disent. Le personnage de Stephen, qui devrait être LE centre du film, est purement incompréhensible, sans que cette opacité soit fascinante : non, elle ne fait que traduire l’indécision de Mendes qui a sans doute voulu miser sur le potentiel commercial de Colman plutôt que sur un débutant comme Micheal Ward.

Sinon, les amoureux de belles images défendront aussi le très joli travail à la photo du vétéran Roger Deakins, qui arrive à rendre Margate sublime. Et ceux qui ont eu la chance de vivre la période Ska / Two Tone écraseront une larme nostalgique en réécoutant The Specials ou The Beat.

 

Pour le reste, il n’y a rien à sauver des deux heures qui en paraissent trois et demi de Empire of Light. Des banalités niaises sur la vie, l’amour, la famille à la pelle, comme si le scénario et les dialogues avaient été écrits par un ado pour une série Netflix… Des prises de position contre le harcèlement sexuel au travail (premier « grand sujet » du film), contre le racisme (second « grand sujet »), contre le traitement inhumain des personnes souffrant de désordres mentaux (troisième « grand sujet »), contre les préjugés sociaux et relatifs à la sexualité et à l’âge (quatrième « grand sujet »). Tout ça, c’est très mal, nous assène courageusement Sam Mendes, qui doit être persuadé de faire du cinéma humaniste et politique ! Et par là-dessus, une BO épouvantable au piano, envahissante et étouffante, pourtant signée Trent Reznor et Atticus Ross…

Mais la goutte qui fait littéralement déborder le vase, c’est cette scène de la séance de projection du génial Being There de Hal Ashby, où Hilary, qui n’a apparemment jamais vu un film de sa vie, vivant comme elle le fait dans une sorte de grotte où elle passe son temps à écouter des chansons déprimantes de Bob Dylan, réalise que le cinéma, c’est tellement beau que ça rachète une existence de m… avec ses skinheads racistes, ses patrons abusifs, ses psychiatres usant de chimie pour calmer les angoisses. Et Mendes, toujours plus racoleur, complète le tout de photographies de stars et d’artistes du cinéma d’antan, histoire de bien communiquer au cinéphile égaré devant Empire of Light, qu’il fait bien partie, lui, Sam Mendes, de la plus noble famille du 7è Art.

C’est bien simple, si on n’était pas déjà profondément endormi par tout ce qui a précédé, on aurait envie de vomir.

Fiche technique

Dossier de presse

 

​Empire of Light

USA, Royaume-Uni2023

Réalisation : Sam Mendes

Scénario : Sam Mendes

Image : Roger Deakins

Décors : Mark Tildesley

Costumes : Alexandra Byrne

Montage : Lee Smith

Musique : Trent Reznor, Atticus Ross

Producteur(s) : Neal Street Productions, Searchlight Pictures

Production : Pippa Harris, Sam Mendes

Interprétation : Olivia Colman (Hilary Small), Micheal Ward (Stephen), Colin Firth (M. Ellis), Toby Jones (Norman), Tom Brooke (Neil)...

Distributeur : Searchlight Pictures

Date de sortie : 1 mars 2023

Durée : 1h53

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Le réalisateur

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SAM MENDES

Samuel Alexander Mendes, dit Sam Mendes, est un réalisateur et producteur de cinéma britannique, né le 1er août 1965 à Reading (Berkshire).

Samuel Alexander Mendes est le fils d’un trinidadien du nom de Mendes d’origine portugaise et d’une britannique de confession juive Valerie Helene Mendes (Barnett), ses parents divorcent alors qu’il a 5 ans.

Diplômé de Cambridge, Sam Mendes se lance dans une carrière au théâtre. Il connaît rapidement du succès avec des adaptations très novatrices. Il se fait alors remarquer et engager en 1992 par la Royal Shakespeare Company. Ces diverses expériences lui permettent de travailler avec des comédiens reconnus comme Judi Dench ou Ralph Fiennes. Il devient ensuite directeur du Donmar Warehouse Theater où il continue d'adapter les plus grands, de Shakespeare à Tennessee Williams.

Ses productions ne se limitent plus à l'Angleterre. Il met en scène quelques pièces à Broadway comme The Blue Room dans laquelle il dirige Nicole Kidman. Son adaptation de Cabaret lui vaut de multiples récompenses et l'attention de Steven Spielberg : le réalisateur voit en Sam Mendes un futur grand cinéaste et lui propose le scénario du caustique American Beauty. Le film connaît un succès public et critique immense et remporte notamment les Oscar du Meilleur film, du Meilleur réalisateur, du Meilleur scénario et du Meilleur interprète principal.

Avec son projet suivant, Les sentiers de la perdition (2002), Sam Mendes explore un autre genre, le thriller. Tom Hanks y joue le rôle d'un tueur à gages dans l'Amérique des années trente dont le fils découvre soudainement la profession. Paul Newman, Jude Law et Jennifer Jason Leigh complètent la distribution. Avec Jarhead - la fin de l'innocence (2005), le réalisateur britannique change une nouvelle fois de registre et adapte le roman homonyme d'Anthony Swofford, évoquant le quotidien des Marines pendant la Guerre du Golfe.

Faisant une pause dans sa carrière de réalisateur, Sam Mendes s'adonne au métier de producteur. Ainsi, il produira pendant l'année 2007 deux longs métrages : Nos souvenirs brûlés de Susanne Bier et Les Cerfs-volants de Kaboul de Marc Forster. Fin 2008, plus de dix ans après le Titanic de James Cameron, il réunit à nouveau le couple glamour Leonardo DiCaprio / Kate Winslet (sa compagne à la ville) dans Les Noces rebelles. Away We Go sera de nouveau une histoire de couple mais qui prend la forme d'un road-movie léger et optimiste.

-The Franchise - Saison 1

2022     Empire Of Light

2019    1917

2015    007 Spectre

2012    Skyfall

2009    Away We Go

2008    Les Noces rebelles

2005    Jarhead - la fin de l'innocence

2002    Les Sentiers de la perdition

1999    American Beauty

Les interviews

« Encore aujourd’hui, je trouve plus facile de parler avec vous en tête à tête que de me retrouver dans une pièce avec plein de gens en me demandant à qui je suis censé m’adresser. » Sam Mendes laisse échapper un rire de défense. « Parce que, jusqu’à mes 18 ans, c’était ça ma vie : j’étais face à la même et seule personne à la table du petit déjeuner, au déjeuner, au dîner… »

Si le réalisateur britannique, révélé par American Beauty (cinq oscars en 2000, dont meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur acteur pour Kevin Spacey), revient aujourd’hui sur son enfance avec sa mère bipolaire, c’est que cette dernière est au cœur de son nouveau film, Empire of Light.

« Ce n’est pas un film autobiographique. Mais, oui, fondamentalement, Hilary, l’héroïne, c’est ma mère », pose-t-il. Les crises dépressives, les up and down, les voisins qui se plaignent, l’appartement saccagé que l’on retrouve dans le film, ont longtemps été son pain quotidien. « En revanche, dans le film, j’ai effacé l’enfant. J’ai été marqué par une phrase de Margo Jefferson [l’écrivaine afro-américaine de Negroland. A Memoir (Pantheon Books, 2015)] : “Comment se dévoiler sans demander amour ou pitié ?” Donc, cette mère bipolaire du film n’a pas d’enfant. Bien entendu, la caméra reste moi, mais le film est sur elle… »

Il se frotte le front et hoche la tête : « La vérité, c’est que je n’étais pas intéressé par le garçon que j’étais. Difficile d’imaginer ce qu’il se passe dans la tête de ce gamin. Elle est vide. Parce que c’est un trauma d’avoir un parent qui vit une crise. Celui-ci disparaît, vous partez, vous goûtez à une autre vie, et quand vous revenez, il a changé de nouveau, et vous passez par tout ce cycle à chaque fois. Et ce que vous êtes, à la fin, c’est simplement deux yeux qui regardent. »

Sam Mendes est né en 1965, à Reading, à 60 kilomètres à l’ouest de Londres. Il a 3 ans lorsqu’il assiste à la première crise de sa mère. Ses parents se séparent quelque temps plus tard. Désormais, il est seul face à cette femme. Formidable mère quand elle est dans les hauts – « Je ne me suis jamais senti mal aimé, je me sentais seul, mais je n’ai jamais eu le sentiment d’être invisible », dit-il. Perdue quand elle est dans les bas… Dans ces cas-là, le gamin va habiter chez son père. « Je vivais une histoire parallèle, dans un autre endroit, un moment en suspension. Puis on me disait : “Tu peux rentrer à la maison.” Et la vie reprenait son cours. »

Enfoncé dans le canapé, le réalisateur passe souvent un bras dans son dos, se tortille. Pourtant, à 57 ans, Sam Mendes ne semble pas habité par le doute, plutôt par une sorte d’amusement quant au chemin parcouru. Avant aujourd’hui oser se tourner vers son passé, à l’instar d’un Steven Spielberg – avec The Fabelmans – ou d’un James Gray – avec Armageddon Time (2022) –, il a occupé une vie à monter des classiques du théâtre britannique dans les salles londoniennes, et des films à Hollywood.

Entre American Beauty (1999) et Empire of Light, il y a eu Les Sentiers de la perdition (2002), avec Tom Hanks, Jude Law et Paul Newman ; Jarhead (2005), avec Jake Gyllenhaal et Peter Sarsgaard ; Les Noces rebelles (2008), avec Leonardo DiCaprio et Kate Winslet, son ex-femme, avec qui il a eu un garçon. Puis Away We Go (2009), la version positive et romantique du précédent, deux James Bond d’anthologie – Skyfall (2012) et 007 Spectre (2015) – et ce 1917 sorti juste avant la pandémie, en janvier 2020.

Point commun dans tous ces films : la solitude des personnages, y compris lorsqu’ils sont en famille – toujours dysfonctionnelle. « Vous l’avez repéré ? s’esclaffe-t-il. C’est inconscient. Quand on réalise un film, on ne se dit pas : je vais emmener James Bond vers une sorte d’histoire où M est une mère qu’il faut sauver… Et quand M dit à Bond : “Les orphelins font toujours les meilleures recrues”, je ne suis pas sûr de savoir sur le moment ce que je tourne. Mais, rétrospectivement, vous regardez en arrière, et vous vous dites : “Ah oui… En effet…” »

D’un film l’autre, une même question existentielle taraude ses personnages : auront-ils une vie banale – paisible, certes, mais sans lustre – ou, au contraire, exceptionnelle, du coup dangereuse, fatigante, voire impossible ? Inévitablement, on pense à cette dichotomie entre la mère du réalisateur, Valerie Mendes, écrivaine à la carrière prolifique et éditrice passionnée, notamment à l’Oxford University Press, et le père, Peter Mendes, ce professeur d’université rangé et calme – lui-même fils d’une figure de la littérature de Trinité-et-Tobago – qui l’accueille lorsque celle-ci plonge dans les abysses de la dépression.

« Cet esprit sans repos qui est en moi vient de ma mère, je crois qu’elle pourrait être l’écrivaine la plus célèbre du monde, elle ne serait toujours pas satisfaite… J’ai d’ailleurs toujours envié la capacité de mon père à trouver du plaisir dans les petites choses. Se contenter est un art. Moi, je navigue entre ces deux pôles. Je les sens – par période – chacun en moi. Car j’ai heureusement la chance de pouvoir ressentir ce contentement par moments, avec ma femme, mes enfants [il vit, depuis 2003, avec la trompettiste Alison Balsom, avec qui il a eu une fille], cette dynamique que l’on ne m’a jamais transmise et que j’ai dû apprendre par moi-même. »

En grandissant, Sam Mendes s’est, en effet, créé ses propres familles électives : avec l’équipe de cricket, à Cambridge, où il étudie la littérature, et avec le club théâtre dont il signe rapidement les multiples mises en scène – contrôler, pour ne pas laisser le monde déraper ? Plus tard, en prenant la direction d’une salle londonienne, le Donmar Warehouse, à Covent Garden. « Pour moi, les familles ne sont pas une entité, mais une collection d’individualités occupant un même espace. C’est ce que l’on voit dans Empire of Light. Hilary dirige l’accueil dans le cinéma, elle fait partie d’une famille fonctionnelle d’étrangers qui l’aiment et la soutiennent. Et ça, c’est mon expérience personnelle », assène-t-il.

« L’art imite la vie »

A propos de 1917 et de la relation entre ces deux soldats chargés pendant la première guerre mondiale de traverser le no man’s land du front, il dit ainsi s’être inspiré de ce qu’il a vécu dans les équipes sportives : « Schofield et Blake, le middle class et le prolétaire, le solitaire et le social, vont découvrir qu’ils s’apprécient l’un l’autre, alors que rien ne les réunit. Le sport comme le théâtre ou le cinéma sont des carrefours, des lieux où se retrouvent des gens de différents métiers, de différents mondes, qui ne se croiseraient pas normalement. C’est aussi le cas d’Hilary et de Stephen dans Empire of Light. »

Hilary est jouée par Olivia Colman, 49 ans, la reine Elizabeth II dans The Crown ; Stephen, le jeune ouvreur de cinéma avec qui elle a une histoire d’amour, est interprété par Micheal Ward, 25 ans, d’origine jamaïcaine. « C’était intéressant, confie le réalisateur, de voir sur le plateau comme l’art imite la vie, comment les acteurs eux-mêmes interagissent. Tout sépare Olivia et Micheal – la couleur de leur peau, l’âge, le milieu. Mais ils rient des mêmes choses, considèrent le jeu d’acteur de la même façon, ont un esprit qui les fait frère et sœur. Une part de moi craignait : le public ne va pas marcher à leur romance. Alors que quand vous les voyez, vous y croyez. Même si cela s’efface dès qu’ils sortent de leur bulle, comme un négatif exposé trop rapidement à la lumière, au regard d’une société qui ne saurait l’autoriser, surtout à cette époque-là. »

On y revient : des « misfits », des solitaires, des inadaptés, mais des destins exceptionnels. Le très hollywoodien cinéma de Sam Mendes est né dans ce hors cadre-là, dans l’intimité d’un tête-à-tête mère-fils, il y a une cinquantaine d’années. « Vous regardez en arrière, vous cherchez à défaire les nœuds, à démêler les souvenirs… », constate-t-il. Un V s’est creusé entre ses sourcils… qu’il balaye d’un rire. « Je n’ai jamais été dans la croyance que quelque part, enfoui dans mes problèmes non résolus, reposait le talent. »

Pourtant, quand on passe en revue les films qu’il aime citer en référence, dont Bienvenue Mister Chance (1979), avec Peter Sellers, qui est projeté dans la salle de cinéma d’Empire of Light, il en convient : « Les films qui ont eu un impact sur moi ont tous un rapport direct avec ma vie. Comme Rencontres du troisième type. Mon père m’avait emmené le voir à Leicester Square. Cela commence dans le silence, puis la musique monte, monte, et boum ! Les sièges tremblaient. Sauf que si vous vous rappelez bien, c’est d’abord l’histoire d’un type qui fait une dépression nerveuse. Les extraterrestres n’arrivent qu’à la dernière demi-heure. Le type les voit, il communique avec eux, et sa famille ne comprend pas ce qu’il lui arrive. Comme pendant cette scène absolument exceptionnelle, pendant le repas, où avec la purée il fait une montagne dont le sommet aplati permettra aux extraterrestres d’atterrir. En le regardant, les enfants se mettent tous à pleurer… Ce film est un chef-d’œuvre. »

Une fois, tout jeune homme, Sam Mendes avait été invité à la fête d’une amie. Il y avait remarqué une femme « étrange ». Un copain lui avait glissé que c’était la mère de son hôte : « Nous l’appelons “l’explication”. » Il avait ri, mais s’était demandé : « Et chez moi, quel parent est “l’explication” ? » Le V se dessine de nouveau, entre ses sourcils. « Chez moi, c’est la mère. »

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La BO

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Pour aller plus loin

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Fréquentation cinématographique

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Vos impressions sur le film

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