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Jeudi 8 Septembre 20h30
En Décalage de Juanjo Giménez
Bande Annonce
Synopsis et détails
C'est une ingénieure du son talentueuse, passionnée par son travail. Un jour, elle découvre qu’elle commence à se désynchroniser. Elle réalise alors que son cerveau s’est mis à percevoir le son plus tard que les images qu’il reçoit. C. doit renoncer à son travail et reconsidérer toute sa vie.
A Voir
Critiques

Fut un temps pas si lointain où des films à vocation grand public pouvaient mobiliser de grandes questions théoriques de cinéma, et l’on se souvient, par exemple, comment la comédie américaine Un jour sans fin (1993), de Harold Ramis, maniait montage et répétitions pour livrer toute une réflexion existentielle (le film ressort le 10 août en copie restaurée). Ainsi, sous l’apparence trompeuse d’un produit lambda noyé au creux de l’été, En décalage, premier long-métrage du producteur espagnol Juanjo Giménez et bonne surprise notable, mène une opération similaire à propos du lien fondamental qui unit, à l’écran, l’image et le son, venant déranger leur trop évidente synchronicité.
Cette synchronicité ordinaire, le film commence par la désigner comme fabrication, un travail qui ne va pas du tout de soi. Son héroïne, sobrement dénommée « C. » (Marta Nieto, déjà vue dans Madre, de Rodrigo Sorogoyen), exerce le métier de bruiteuse et ingénieure du son, construisant de toutes pièces, à l’aide d’accessoires, l’épaisseur sonore d’une fiction criminelle (le bon coup de poing, le bon bruit de pas dans les feuilles mortes).
La jeune femme traverse une crise personnelle. Pas complètement remise d’une rupture, elle perd son logement (ce pour quoi elle passe parfois les nuits au studio) et, pour couronner le tout, à la suite d’erreurs de synchro, constatées sur ses productions récentes, se retrouve bientôt sans emploi. Elle se découvre alors atteinte d’un trouble physiologique inédit : les sons lui parviennent avec un décalage, d’abord imperceptible, de quelques fractions de seconde, puis de plus en plus prononcé, jusqu’à creuser au cœur de la réalité un gouffre béant, empêchant toute prise sur les choses. C. est, en quelque sorte, « désynchronisée » : le fil de sa vie lui échappe.
Métaphore
Fort de ce principe, En Décalage a la bonne inspiration de l’assumer jusqu’au bout, inventant scène après scène toutes sortes de jeux – dissonances, ruptures, surgissements, révélations différées – entre images et sons, telle une petite série B rebondissante. Le décalage transforme la réalité, la rend imprévisible, incompréhensible, dangereuse. C. traverse la rue sans entendre la voiture qui lui fonce dessus et la percute, avant même que le bruit de l’accident ne vienne déchirer la scène une seconde fois – double surprise.
Le décalage ntervient d’abord comme la métaphore, par trop évidente, du dérèglement intime d’un personnage à la dérive, en perte de repères. Mais le film ne se repose pas si facilement sur ses lauriers et renverse progressivement le symptôme pour laisser entrevoir peu à peu en lui une sorte de pouvoir, de sixième sens : celui, comme l’énonce elle-même la protagoniste, d’« entendre le passé des lieux ». S’installant à une table de café, elle peut ainsi écouter la dispute des clients qui l’ont précédée ou, en visitant une maison, entendre les drames dont les murs ont été témoins.
Ingénieux sur le plan de l’écriture, on regrette que Juanjo Giménez ne pousse pas plus loin, jusqu’à la perte de repères, voire l’abstraction, ses expériences de disjonction sonore. En l’état, le film demeure jusqu’au bout d’une facture standard, trop lisse pour ne pas ressembler à une sorte de téléfilm haut de gamme. De même, il est regrettable que le trouble de C. ne trouve comme seul débouché fictionnel qu’une banale quête des origines, véritable « tarte à la crème » du narratif contemporain. Emaillé de trouvailles, En décalage met le doigt sur une brèche profonde du dispositif cinématographique, mais finit par la replâtrer de conventions.

3, 2, 1… Bip, bip, bip… En décalage s’ouvre sur un décompte. Apparu pour la première fois en 1929 dans La Femme sur la Lune de Fritz Lang, le compte à rebours sera utilisé, accompagné d’un cercle de rotation et d’un son, afin de servir les projectionnistes pour la synchronisation du son et de l’image dans les salles de cinéma, à l’ère de la pellicule. Le procédé technique est aujourd’hui devenu dans l’inconscient collectif un symbole vintage du médium. Dès lors, nous sommes témoins de la concordance audio et visuelle de l’œuvre de Juanjo Giménez Peña, le temps de notre expérience du film. Le bip régulier est semblable à celui d’un rythme cardiaque que retransmettrait un électrocardiogramme… Les battements de cœur du cinéma ?
Cette séquence temporelle précédant le début de l’action – bien qu’à la différence du maître allemand, il n’y ait pas ici de vérifications à effectuer avant le lancement d’une fusée – crée une tension à l’œuvre, nous propulsant ainsi déjà vers les sujets de l’intrigue : le cinéma, le temps et le rapport que l’homme entretient avec eux.
En décalage poursuit cette délicate mise en abyme, alors que l’action débute dans un studio de post-production audiovisuelle. Si nous assistions avant le début de l’œuvre à une synchronisation, c’est à présent au sein de l’intrigue-même qu’image et audio se désaccordent. Comble pour la protagoniste (Marta Nieto), une monteuse son, témoin au-delà de son logiciel de montage du plus haut degré de cette invraisemblable situation : « Je suis désynchronisée » finit-elle par expliquer à son ami et collègue. Cette dernière perçoit les sons avec un retard de quelques secondes, jusqu’à ce que ce laps de temps s’étire. Ce qui est pour notre personnage un réel handicap se révèle postérieurement un pouvoir à cultiver.
Dans ce troublant scénario, et pour notre plus grand plaisir, Juanjo Giménez Peña joue des mécanismes du cinéma et nous questionne : notre société de surcroît technologique nous dérègle-t-elle ? La fabuleuse création de cet univers sonore désynchronisé immerge le spectateur dans un monde où bruit et silence atteignent une nouvelle valeur – « Le cinéma sonore a inventé le silence » disait Bresson – , quand la notion de communication doit être réinventée. Alors que les sons mettent à mal la logique de l’audio-vision, les « claps » de l’héroïne se lient étrangement dans nos esprits aux « gongs » assourdissants de Memoria d’Apichatpong Weerasethakul.
Un regret ? Les cinéastes espagnols ont-ils cette année l’obsession de consacrer le dénouement de leur film à une quête des origines – pour le coup – désynchronisée du reste du récit ? Les dernières scènes d’En décalage basculent vers une dimension trop fantastique pour que nous puissions continuer à y croire. Quand notre personnage principal devient maître du temps, de l’espace et du son, l’intrigue perd toute crédibilité et par là-même la confiance du spectateur jusqu’alors gagnée. Peut-être aurait-il fallu tendre l’oreille sur le pouls du cinéma ?
Le réalisateur

Juanjo Giménez Peña
1963, Barcelone
Biographie
Juanjo Giménez Peña est né à Barcelone en 1963. Il a réalisé plusieurs courts métrages, dont Rodilla, Nitbus, Maximum Penalty et Indirect Free Kick, tous récompensés dans des festivals nationaux et internationaux. Il est le réalisateur des longs métrages: Tilt (2003), primé à Rome, Las Palmas et Ourense; Dodge and Hit (2010), co-réalisé avec Adán Aliaga primé Meilleur Documentaire au Festival Alcances de Cadiz et Contact Proof (2014). Il est le responsable et fondateur des sociétes de production Nadir Films et Salto de Eje avec lesquelles il a produit plusieurs films primés.
Filmographie
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2014 : Contact Proof (documentaire)
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2010 : Esquivar i pegar
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2003 : Nos hacemos falta
Courts-métrages
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2016 : Timecode
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2009 : Rodilla
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2007 : Nitbus
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2006 : Máxima pena
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1997 : Libre Indirecto
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1996 : Ella está enfadada
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1995 : Especial (con luz)
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1994 : Hora de cerrar
Fiche technique
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FICHE TECHNIQUE
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Pays : Espagne
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Année : 2021
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Genre : Drame
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Durée : 1h44
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Réalisation : Juanjo Giménez Peña
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Scénario : Juanjo Giménez Peña, Pere Altimira
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Photographie : Javi Arrontes
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Musique : Domas Strupinskas
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Montage : Cristóbal Fernández
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Interprétation : Marta Nieto, Miki Esparbé, Francisco Reyes
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Production : Filmax

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