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Bande Annonce
Synopsis et détails
Leila a dédié toute sa vie à ses parents et ses quatre frères. Très touchée par une crise économique sans précédent, la famille croule sous les dettes et se déchire au fur et à mesure de leurs désillusions personnelles. Afin de les sortir de cette situation, Leila élabore un plan : acheter une boutique pour lancer une affaire avec ses frères. Chacun y met toutes ses économies, mais il leur manque un dernier soutien financier. Au même moment et à la surprise de tous, leur père Esmail promet une importante somme d’argent à sa communauté afin d’en devenir le nouveau parrain, la plus haute distinction de la tradition persane. Peu à peu, les actions de chacun de ses membres entraînent la famille au bord de l’implosion, alors que la santé du patriarche se détériore.
de Saeed Roustaee
Iran | VOSTF | 2022 | 2h45
Avec N. Mohammadzadeh, T. Alidoosti, S. Poursamimi
Compétition – Cannes 2022


A Ecouter

Critiques
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S’il dialogue avec Parasite, la Palme d’or 2019, ce n’est pas seulement parce que Leïla et ses frères dépeint lui aussi, et brillamment, une famille de chômeurs contraints de magouiller pour échapper à la misère et à la promiscuité. En effet, son auteur, Saeed Roustaee, utilise également l’un des motifs du film sud-coréen : les W.C. Chez Bong Joon-ho, ils étaient curieusement surélevés, trône absurde sur lequel les personnages parvenaient, moyennant contorsions, à capter le WiFi. Le jeune prodige du cinéma iranien y trouve, pour sa part, une manière d’ascenseur social : en poussant ses frangins à racheter les toilettes d’un centre commercial afin d’en faire une boutique, Leïla espère bien remédier, enfin, à la merditude des choses.
À peine plus d’un an après la sortie française de son deuxième long métrage La Loi de Téhéran, époustouflant polar sur le business de la drogue et son impitoyable répression au pays des mollahs, Saeed Roustaee frappe fort avec cette saga familiale qui tient à la fois de la comédie italienne et de l’hommage assumé au Parrain de Coppola. Découvert en compétition à Cannes, où il a dû, contre toute attente, se contenter du prix Fipresci décerné par la critique internationale, Leïla et ses frères présente surtout des points communs avec Life and a Day, premier film de l’auteur, un drame social encore inédit chez nous et qui pourrait sortir prochainement : mise en scène de l’exiguïté domestique, profusion étourdissante des dialogues, violence iconoclaste des échanges. « Pourquoi vous ne crevez pas, tous les deux ? » hurle ainsi la dévouée Leïla (remarquable et émouvante Taraneh Alidoosti) à ses parents avant de gifler son père.
Harpagon sans fortune, le vieil Ismaël (Saeed Poursamimi) tyrannise sa progéniture, adulte mais précaire, composée de quatre fils, soit huit bras cassés, et d’une fille restée célibataire par sa faute. Le monstrueux papa entend dépenser les économies d’une vie, quarante pièces d’or, dans un cadeau de mariage censé bluffer des cousins méprisants. Comment le convaincre d’utiliser sa cassette à meilleur escient ? En passant par le prisme intime d’une famille qui se tue à survivre, le réalisateur décrit une société écartelée entre des usages hors d’âge et une époque obsédée par l’argent. Au suspense policier de La Loi de Téhéran, il en substitue un autre, pas moins haletant, lié à une inflation hors de contrôle. Ou comment un tweet de Donald Trump peut faire flamber le cours de l’or et réduire des projets en cendres.
Entre l’évacuation d’une usine fermée pour cause de faillite et un mariage luxueux, théâtre de toutes les vanités et d’une terrible humiliation, la virtuosité de Saeed Roustaee dans les scènes d’ampleur continue d’impressionner. Mais le film éblouit plus encore par sa remarquable étude de caractères et sa mécanique de précision : une façon de décortiquer, avec une minutie cruelle, les manigances et les soubresauts de la tribu d’incapables, servie par des acteurs exceptionnels. À mesure qu’ils s’enfoncent dans les sables mouvants de la fatalité, on constate avec quel amour le cinéaste les regarde : comme de grands gosses qui mangent une glace, assis sur des marches, ébahis devant de superbes jeunes femmes descendant d’un 4 × 4 hors de prix. Marie Sauvion

En Iran, les mésaventures d’une famille de Pieds nickelés qui magouille pour sa survie. Une tragi-comédie virtuose ou d’une lourdeur complaisante ?



Leila et ses frères sort enfin en salles. Tragédie familiale et énorme baffe cannoise, voici le nouveau film du réalisateur de La Loi de Téhéran. On y suit une femme d'une quarantaine d'années, rompue à l'entretien des bonnes relations familiales, malgré les veuleries de ses frères et leur propension à s'endetter. Mais quand le père de cette mauvaise troupe fait face à une proposition qu'il ne peut refuser, ce fragile équilibre est rapidement menacé...
Quand les salles françaises accueillent La Loi de Téhéran en 2021, le choc est total. Saeed Roustaee est un metteur en scène inconnu dans l’Hexagone, et ce deuxième long-métrage l’intronise comme un des nouveaux grands noms du cinéma iranien, mais aussi du paysage international. Et c’est logiquement que le Festival de Cannes le propulsera quelques mois plus tard en compétition officielle avec Leila et ses frères, qui ravagea la Croisette et le cœur des festivaliers, à défaut de marquer son jury.
Depuis sa présentation au cœur du festival, les qualificatifs pleuvent pour tenter d’appréhender cette œuvre fleuve, dont la première particularité est d’échapper momentanément à l’appréhension du spectateur. Ceux qui sont demeurés tétanisés par la spirale policière funèbre de son précédent film croiront un instant reconnaître dans sa mise en scène l’ampleur de certaines séquences, non sans évoquer le chœur antique.
Toujours dans le contrepied, le découpage comme le montage orchestrent une logique toute en paradoxes et en effets de sidération. Après une introduction qui survole la situation de trois protagonistes principaux à la faveur d’un montage alterné d’une complexité remarquable, où s’alternent vues aériennes, plans de foule, et condensé d’instantanés de vie divers, le sentiment de claustration est irrépressible. Malgré le mouvement, en dépit de la profusion, Roustaee établit avec une éreintante intensité le verrouillage d’une société dont les règles contraignent chacun à un conflit larvé avec ses semblables.
Un patriarche pas si paternel
ALERTE SISMIQUE
Cette ouverture achevée, la caméra va sensiblement se rapprocher des protagonistes, car si les membres de la famille de Leila sont pris au piège au sein du collectif, leur individualité n’est pas non plus synonyme de libération intérieure. Dans Leila et ses frères, la réalité toute entière est de nature carcérale, sans qu’aucune échappatoire n’apparaisse jamais. Et c’est bien cette articulation entre une action qui se resserre perpétuellement, des enjeux toujours plus contraints, réduits, inéluctables, mais aux conséquences un peu plus concrètes à chaque scène, qui engendre un vertige de cinéma d’une rare intensité. Et l'épique de naître précisément quand surgit l'intime, la racine de toutes les plaies ouvertes durant cette aventure ténébreuse.
L’alliance du montage et du découpage a beau être d’une rare cohérence au cours des 2h45 de la chose, elle ne pourrait soutenir notre attention si l’ensemble ne bénéficiait pas d’un scénario qui fait de la rigueur son principe universel. En flirtant avec les 180 minutes de métrage, le cinéaste pourrait se donner le temps de contempler, se risquer à délayer ou à jouer la dilatation de l’action pour mieux fasciner son spectateur, mais non, la narration s’avère d’une densité jamais prise en défaut, parfois éreintante tant elle aligne les coups de boule stylistiques et la violence émotionnelle lors de sa dernière partie.
Une inarrêtable montée en pression...
La logique inflexible avec laquelle l’écriture ordonne durant la première partie, scellant le destin de tous les personnages après avoir radiographié tant leur personnalité que leurs conflits intérieurs, pourra surprendre par sa longueur. Pourtant, impossible d’imaginer en couper ou retirer la moindre scène. Aucun échange ne s’avérera anodin, et aucune des multiples couches de rituels et traditions entourant la course de tous les membres de la famille vers le pouvoir (ou sa paralysie) ne compte pour des prunes.
Et pour cause, quand la catastrophe annoncée vire au pur cataclysme, quant au mitan d’une cérémonie familiale et symbolique essentielle, le clan dévoile toute sa désunion potentielle et sa conflictualité naissante, Leila et ses frères opère une métamorphose formelle et rythmique. Après un premier mouvement en forme de partie d’échecs admirable mais en sourdine, chaque séquence se mue en une explosion d’antagonisme radical. Alors que la mise à mort sociale et la ruine guette l’ensemble des personnages, tous entreprennent des stratégies différentes, convergentes, abominables ou absurdes. Un précipité de violence sociale que le réalisateur traite avec un génie quasi-littéraire.
LA MARRAINE DU PARRAIN
Non pas que sa création soit verbeuse ou se risque à s’enferrer dans une langue trop ouvertement lettrée. Mais tout comme La Loi de Téhéran évoquait sans ambiguité une structure tragique classique, on retrouve dans la nouvelle proposition de Roustaee l’héritage, souvent sublimé, d’une certaine littérature du XIXe siècle. Des auteurs aussi variés que Tchekhov, Doistoïevski ou Balzac auront travaillé la matière première du roman de manière à pouvoir embrasser leur époque, mariant avec ingéniosité les hyper-structures de leur temps, les ardeurs des hommes qui le peuplent ainsi qu’un puissant souffle romanesque.
Avec ce Père Goriot inversé, le cinéaste iranien ne fait pas autre chose. C’est ce qui confère à la durée imposante de l’œuvre une légitimité supplémentaire. Parce qu’il peut scruter ses personnages à la loupe, le film prend le temps de les installer dans un dispositif organique, où ce sont d’abord leurs actions, réactions et explosions qui guident la caméra, et jamais une coquetterie de mise en scène. Dès lors qu’il peut s’épanouir à l’écran, chaque individu se voit donner assez de temps de présence pour que sa grâce ou sa damnation devienne terriblement palpable.
Leila et ses gros boulets
Enfin, dans l’habileté avec laquelle Leila et ses frères détourne tous les codes qu’il convoque pour ne jamais perdre de vue ses personnages mais se consacrer tout entier à raconter à travers eux un pays, on retrouve la marque des grandes fresques de cinéma. Alors que chaque membre de cette tribu sur le point d’imploser se prépare à lutter pour sa survie bec et ongles, on n’adopte jamais durablement les codes du polar, du thriller ou du drame social, tant les cadres comme l’interprétation pulvérisent en permanence les règles établies.
Et si on se souvient de la virtuosité avec laquelle Le Parrain feignait de renouveler la saga criminelle, pour finalement disséquer une famille, et à travers elle les vicissitudes de la société américaine, on reconnaîtra ici la même verve. L’inspiration de Roustaee aura été pointée du doigt par de nombreux commentateurs, et ce n’est pas lui faire injure que de comparer ce nouveau film au chef-d'oeuvre de Francis Ford Coppola, tant le metteur en scène iranien s’avère à la hauteur du défi. À tel point qu’on ressort du visionnage chancelant, fasciné par l’imbrication du particulier et de l’universel, en ayant l’impression d’avoir couru sur l’arête d’un volcan.